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miss harriet

Elle disait : « C’est une démoniaque. » Et ce mot, collé sur cet être austère et sentimental, me semblait d’un irrésistible comique. Je ne l’appelais plus moi-même que « la démoniaque », éprouvant un plaisir drôle à prononcer tout haut ces syllabes en l’apercevant.

Je demandais à la mère Lecacheur : « Eh bien, qu’est-ce que fait notre démoniaque aujourd’hui ? »

Et la paysanne répondait d’un air scandalisé :

— Croiriez-vous, monsieur, qu’all’ a ramassé un crapaud dont on avait pilé la patte, et qu’all’ l’a porté dans sa chambre, et qu’all’ l’a mis dans sa cuvette et qu’all’ y met un pansage comme à un homme. Si c’est pas une profanation ! »

Une autre fois, en se promenant au pied de la falaise, elle avait acheté un gros poisson qu’on venait de pêcher, rien que pour le rejeter à la mer. Et le matelot, bien que payé largement, l’avait injuriée à profusion, plus exaspéré que si elle lui eût pris son argent dans sa poche. Après un mois il ne pouvait encore parler de cela sans se mettre en fureur et sans crier des outrages. Oh, oui ! c’était bien une démoniaque, miss Harriet, la mère Lecacheur avait eu une inspiration de génie en la baptisant ainsi.

Le garçon d’écurie, qu’on appelait Sapeur