Page:Maupassant - Mont-Oriol, 1887.djvu/31

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gnes au débouché d’Enval sur la plaine. Or, juste à la sortie du village, à l’écartement du vallon, s’élevait un petit mont, ou plutôt une grande butte, et sur cette butte étaient les meilleurs vignobles du père Oriol. Au milieu de l’un d’eux, contre la route, à deux pas du ruisseau s’élevait une pierre gigantesque, un morne qui gênait la culture et mettait à l’ombre toute une partie du champ qu’elle dominait.

Depuis dix ans le père Oriol annonçait chaque semaine qu’il allait faire sauter son morne ; mais il ne s’y décidait jamais.

Chaque fois qu’un garçon du pays partait pour le service, le vieux lui disait : — Quand tu viendras en congé, apporte-moi de la poudre pour mon rô.

Et tous les petits soldats rapportaient dans leur sac de la poudre volée pour le rô du père Oriol. Il en avait plein un bahut, de cette poudre ; et le morne ne sautait point.

Enfin, depuis une semaine, on le voyait creuser la pierre avec son fils, le grand Jacques, surnommé Colosse, qu’on prononçait en auvergnat « Coloche ». Ce matin même ils avaient empli de poudre le ventre vidé de l’énorme roche ; puis on avait bouché l’ouverture en laissant seulement passer la mèche, une mèche de fumeur achetée chez le marchand de tabac. On mettrait le feu à deux heures. Ça sauterait donc à deux heures cinq, ou deux heures dix minutes au plus tard, car le bout de mèche était fort long.