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saient d’une nature si différente de celles entendues autour d’elle, chaque jour, que sa pensée en demeurait saisie, émue, troublée.

Il parlait toujours, de sa voix un peu sourde, mais chaude.

— Et puis, tenez, reconnaissez-vous aussi, dans l’air, sur les routes, quand il fait chaud, un petit goût de vanille ? — Oui, n’est-ce pas ? — Eh bien ! c’est… c’est… mais je n’ose pas vous le dire.

Il riait tout à fait maintenant : et soudain, étendant la main devant lui : — Regardez !

Une file de voitures chargées de foin s’en venaient, traînées par des vaches accouplées deux par deux. Les bêtes lentes, le front bas, la tête inclinée par le joug, les cornes liées à la barre de bois, marchaient péniblement ; et on voyait sous leur peau soulevée remuer les os de leurs jambes. Devant chaque attelage, un homme en manches de chemise, en gilet et en chapeau noir, allait, une baguette à la main, réglant l’allure des animaux. De temps en temps il se tournait, et, sans jamais frapper, touchait l’épaule ou le front d’une vache qui clignait ses gros yeux vagues et obéissait à son geste.

Christiane et Paul se rangèrent pour les laisser passer,

Il lui dit :

— Sentez-vous ?

Elle s’étonna :

— Quoi donc ? ça sent l’étable.

— Oui, ça sent l’étable ; et toutes ces vaches qui vont par les chemins, car il n’y a point de chevaux dans ce pays, sèment sur les routes cette odeur d’é-