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mont-oriol

Andermatt revint, en effet, à la fin de la semaine. Il avait télégraphié pour qu’on lui envoyât deux landaus au premier train. Christiane, qui n’avait point dormi, harcelée par une émotion étrange et nouvelle, une sorte de peur de son mari, une peur mêlée de colère, de mépris inexpliqué et d’envie de le braver, s’était levée dès le jour et l’attendait. Il apparut dans la première voiture, accompagné de trois messieurs bien vêtus, mais d’allure modeste. Le second landau en portait quatre autres qui semblaient de condition un peu inférieure aux premiers. Le marquis et Gontran s’étonnèrent. Celui-ci demanda :

— Qu’est-ce que ces gens ?

— Mes actionnaires. Nous allons constituer la Société aujourd’hui même et nommer immédiatement le conseil d’administration.

Il embrassa sa femme sans lui parler et presque sans la voir, tant il était préoccupé, et, se tournant vers les sept messieurs, respectueux et muets debout derrière lui :

— Faites-vous servir à déjeuner, dit-il, et promenez-vous. Nous nous retrouverons ici, à midi.

Ils s’en allèrent en silence comme des soldats qui obéissent à l’ordre, et montant deux par deux les marches du perron, ils disparurent dans l’hôtel.

Gontran, qui les regardait partir, demanda avec un grand sérieux :

— Où les avez-vous trouvés, vos figurants ?

Le banquier sourit :

— Ce sont des hommes très bien, des hommes de bourse, des capitalistes.

Et il ajouta, après un silence, avec un sourire plus marqué :