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mont-oriol

— Oui. Il fait tout ce que je lui dis de faire. Oh ! il a été très touché. C’est un garçon violent, terrible. Il a failli mourir. Il a voulu la tuer aussi. C’était une actrice, une actrice connue. Il l’a aimée follement. Et puis, elle ne lui était pas fidèle, bien entendu. Ça a fait un drame épouvantable. Alors, je l’ai emmené. Il va mieux en ce moment, mais il y pense encore. Elle souriait tout à l’heure ; maintenant, devenue sérieuse, elle répondit :

— Ça m’amusera de le voir.

Pour elle, cependant, ça ne signifiait pas grand’chose, « l’Amour ». Elle pensait à cela quelquefois, comme on pense, quand on est pauvre, à un collier de perles, à un diadème de brillants, avec un désir éveillé pour cette chose possible et lointaine. Elle se figurait cela d’après quelques romans lus par désœuvrement, sans y attacher d’ailleurs grande importance. Elle n’avait jamais beaucoup rêvé, étant née avec une âme heureuse, tranquille et satisfaite ; et, bien que mariée depuis deux ans et demi, elle ne s’était pas encore éveillée de ce sommeil où vivent les jeunes filles naïves, de ce sommeil du cœur, de la pensée et des sens qui continue, pour certaines femmes, jusqu’à la mort. La vie lui semblait simple et bonne, sans complications ; elle n’en avait jamais cherché le sens ou le pourquoi. Elle vivait, dormait, s’habillait avec goût, riait, était contente ! Qu’aurait-elle pu demander de plus ?

Quand on lui avait présenté Andermatt comme fiancé, elle refusa d’abord, avec une indignation d’enfant de devenir la femme d’un juif. Son père et son frère, partageant sa répugnance, répondirent avec elle