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temps, l’avait amenée au point nécessaire pour qu’une demande régulière pût être faite.

Or, le père donnant à son autre fille la dot convoitée par Andermatt, Gontran avait dû ou renoncer à ce mariage, ou se retourner vers l’aînée.

Son mécontentement avait été vif, et il avait songé, dans les premiers moments, à envoyer au diable son beau-frère et à rester garçon jusqu’à nouvelle occasion.

Mais il se trouvait justement alors tout à fait à sec, tellement à sec qu’il avait dû demander, pour sa partie du Casino, vingt-cinq louis à Paul, après beaucoup d’autres, jamais rendus. Et puis, il faudrait la chercher, cette femme, la trouver, la séduire. Il aurait peut-être à lutter contre une famille hostile, tandis que, sans changer de place, avec quelques jours de soins et de galanterie, il prendrait l’aînée des Oriol comme il avait su conquérir la cadette. Il s’assurait ainsi dans son beau-frère un banquier qu’il rendrait toujours responsable, à qui il pourrait faire d’éternels reproches, et dont la caisse lui resterait ouverte.

Quant à sa femme, il la conduirait à Paris, en la présentant comme la fille de l’associé d’Andermatt. Elle portait d’ailleurs le nom de la ville d’eaux, où il ne la ramènerait jamais ! jamais ! jamais ! en vertu de ce principe que les fleuves ne remontent pas à leur source. Elle était bien de figure et de tournure, assez distinguée pour le devenir tout à fait, assez intelligente pour comprendre le monde, pour s’y tenir, y faire figure, même lui faire honneur. On dirait : « Ce farceur-là a épousé une belle fille dont il a l’air de se moquer pas mal », et il s’en moquerait pas mal, en effet, car il