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mont-oriol

Après quelques heures d’agitation extrême, l’accouchée se mit tout à coup à parler.

Le marquis et Andermatt, qui avaient voulu rester près d’elle, et jouaient aux cartes, en comptant les points à voix basse, se crurent appelés, se levèrent et vinrent au lit.

Elle ne les vit pas, ou ne les reconnut point. Toute pâle sur son oreiller blanc, avec ses cheveux blonds répandus sur ses épaules, elle regardait, de ses clairs yeux bleus, le monde inconnu, mystérieux et fantastique, où vivent les fous.

Ses mains, allongées sur les draps, remuaient parfois, agitées de mouvements rapides et involontaires, de tressaillements et de sursauts.

Elle ne semblait point causer d’abord avec quelqu’un, mais voir et raconter. Et les choses qu’elle disait paraissaient sans suite, incompréhensibles. Elle trouva une roche trop haute pour sauter. Elle avait peur d’une entorse, et puis elle ne connaissait pas assez l’homme qui lui tendait les bras. Puis elle parla des parfums. Elle avait l’air de chercher des phrases oubliées : « Quoi de plus doux ?… Cela grise comme le vin… Le vin grise la pensée, mais le parfum grise le rêve… Avec le parfum on goûte l’essence même, l’essence pure des choses et du monde… on goûte les fleurs… les arbres… l’herbe des champs… on distingue jusqu’à l’âme des demeures anciennes endormie dans les vieux meubles, les vieux tapis et les vieux rideaux… »

Puis son visage se contracta, comme si elle eût subi une longue fatigue. Elle montait une côte lentement, lourdement, et disait à quelqu’un : « Oh ! porte-moi