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OPINION PUBLIQUE



Comme onze heures venaient de sonner, MM. les employés, redoutant l’arrivée du chef, s’empressaient de gagner leurs bureaux.

Chacun jetait un coup d’œil rapide sur les papiers apportés en son absence ; puis, après avoir échangé la jaquette ou la redingote contre le vieux veston de travail, il allait voir le voisin.

Ils furent bientôt cinq dans le compartiment où travaillait M. Bonnenfant, commis principal, et la conversation de chaque jour commença suivant l’usage. M. Perdrix, le commis d’ordre, cherchait des pièces égarées, pendant que l’aspirant sous-chef, M. Piston, officier d’Académie, fumait sa cigarette en se chauffant les cuisses. Le vieil expéditionnaire, le père Grappe, offrait à la ronde la prise traditionnelle, et M. Rade, bureaucrate journaliste, sceptique railleur et révolté, avec une voix de criquet, un œil malin et des gestes secs, s’amusait à scandaliser son monde.

« Quoi de neuf ce matin ? demanda M. Bonnenfant.

— Ma foi, rien du tout, répondit M.