Aller au contenu

Page:Maurice Joly - Les Affames - E Dentu Editeur - 1876.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Georges Raymond, qui s’était demandé en conscience comment il avait pu réussir, lui, débutant, là où le brillant vicomte avait échoué. Comme la vanité n’était pas son défaut, il comprit qu’il y avait la une énigme dont il aurait le mot tôt ou tard ; mais il ne chercha point à la pénétrer, et il garda le secret de sa bonne fortune malgré les plaisanteries du vicomte, qui lui-même avait trop d’esprit pour vouloir lui enlever ses illusions.

Pendant ce temps, le legs de l’oncle Durand allait bon train. D’abord Georges avait prêté six mille francs à d’Havrecourt, qui se les était fait offrir par une de ces phrases indirectes auxquelles on ne résiste pas dans la lune de miel de l’amitié. Il avait prêté trois mille francs à Karl qui, par délicatesse, ne voulait pas les accepter, et enfin il avait acheté un bracelet de six mille francs à Isabeau.

En ajoutant à tout cela les dîners, les soupers, les parties de toute espèce dans lesquelles le vicomte l’avait entraîné, il ne lui restait plus guère présentement que trois ou quatre mille francs ; mais, comme il arrive dans les moments où la fortune semble vous sourire, Georges se faisait toutes sortes d’illusions sur son avenir. L’aplomb qu’il avait acquis, le vernis de badinage et d’élégante corruption qu’il avait gagné au contact du vicomte, lui donnaient une fausse confiance dans ses forces. Commençant à avoir des relations, à être lancé parmi les jeunes hommes aventureux, il en arrivait à compter comme eux sur les coups de dé du hasard.

Le hasard ne venait-il pas de lui accorder inopinément la faveur la plus inespérée à laquelle pût prétendre un jeune avocat sans clientèle et sans renommée ?