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Page:Meillet - La méthode comparative en linguistique historique, 1925.djvu/121

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besoin de faits nouveaux

le développement linguistique une lumière nouvelle.

Du reste, l’expérience des linguistes est trop étroite. Si les grandes langues sont décrites souvent avec minutie, il s’en faut de beaucoup que les parlers locaux le soient avec assez de précision. En dehors des grandes langues, on n’a que peu de descriptions exactes ; or, il est nécessaire de voir comment fonctionnent des langues de type aussi différent qu’il est possible, et dans des conditions aussi variées qu’il est possible.

Chose plus grave, il n’y a presque pas d’état de langue qui ait été observé, décrit d’une manière exacte, précise, complète. Ce que donnent les descriptions phonétiques, les grammaires, les dictionnaires, ce sont ou des cas typiques, plus ou moins arbitrairement choisis, ou des normes. Mais il n’y a guère de domaine de l’ensemble duquel on puisse dire quel est en fait l’état linguistique. Or, ce qui intéresse le linguiste, ce ne sont pas les normes, c’est la façon dont la langue est mise en usage.

Rien ne diffère plus d’un état de langue qu’un autre état de langue. Autre chose est le parler d’un village rural où tout le monde est à peu près au même niveau social, où tout le monde a à peu près la même culture, autre chose est le parler d’une ville où il y a des hommes de conditions diverses, d’éducations diverses, de cultures diverses. Autre chose est une ville où tout le monde emploie la même langue, autre chose une ville, comme Constantinople, où se juxtaposent des populations parlant cinq ou six langues distinctes. Les conditions varient suivant les mœurs : dans telle ville du Levant, où les hommes savent plus ou moins quatre ou cinq langues et emploient au dehors ces langues suivant les cas, les