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Page:Meillet - La méthode comparative en linguistique historique, 1925.djvu/84

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langues mixtes

M. Gilliéron a reconnu que, dans les cas où ils éprouvaient un embarras, ces parlers ont cherché dans le français général les moyens de se tirer de difficulté. Ainsi, loin de fournir une tradition pure et résultant de leur histoire propre, les parlers gallo-romans comprennent, en une large mesure, des éléments français généraux « patoisés ». Les études sur les parlers gallo-romans comportent maintenant un grand chapitre sur les procédés par lesquels ces parlers ont adapté les mots français. Comme le français et le parler sont de même famille, ils présentent pour le fonds ancien de leur vocabulaire des correspondances régulières, et, en tenant compte de ces correspondances, il n’est pas difficile aux sujets employant le parler local de faire, avec des mots français, des formes de type patois, ou de transporter dans le patois des tours de phrase français. En revanche, ce travail d’illettrés est souvent si bien fait que le linguiste a peine à discerner dans le patois ce qui est vraiment indigène de ce qui est adapté.

La supériorité de la langue générale et par sa valeur et par les commodités qu’elle présente pour communiquer avec d’autres hommes est telle que, en dépit des vieux usages, on tend bientôt à préférer cette langue générale au parler local, comme on substitue le costume urbain aux costumes locaux. Mais il est moins facile de changer de langue que de costume. Si les parlers locaux de la France sont souvent en grande partie du français patoisé, le français employé au village est souvent du patois francisé. Dans bien des cas, il suffit de changer un peu le mot local pour en faire un mot français correct : le mot lwé du village devient français dès qu’on le prononce lwa (loi). Le mot berrichon lavwé