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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/308

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LE ROI VIERGE

femme qui a ses nerfs ; mais le visage, quand il n’était pas déformé par la grimace de la colère, devait avoir une magnifique expression de hauteur et de sérénité. Tandis que la bouche, aux lèvres très minces, pâles, à peine visibles, se tordait dans un pli méchant, le beau front, vaste et pur, uni, entre des cheveux très doux, déjà grisonnants, qui fuyaient, gardait la paix inaltérable de je ne sais quelle immense pensée, et il y avait dans la transparence ingénue des yeux — des yeux pareils à ceux d’un enfant ou d’une vierge — toute la belle candeur d’un rêve inviolé.

D’ailleurs, personne ne paraissait ému outre mesure de ce qui s’était passé, — le docteur Pfeifel, silencieusement, faisait un petit tas des débris épars sur la table, — soit que la bonne humeur des convives se souciât peu d’une telle algarade, soit que le trouble-fête fût de ces gens à qui l’on pardonne tout, de qui l’on n’ose même pas se plaindre.

Quant à l’homme lui-même, toujours plus frémissant qu’une chanterelle secouée par un pizzicato, il avait empoigné le béret de velours qui lui pendait sur l’œil gauche avec l’air d’une crête noire, et, le triturant entre ses poings crispés, le