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Page:Mendès - Le Roi Vierge - 1881 (leroiviergeroma00mendgoog).djvu/60

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LE ROI VIERGE

collés d’humeurs, les lèvres jaunes, la peau grise et mangée d’anciennes plaies, il s’en alla par les rues dans les loques de sa blouse, son pantalon déchiré aux genoux. En passant devant un bazar, rue de la Pomme, il vit une boîte verte, avec des brosses et des pots de cirage dessus. Il n’y avait ni marchands ni chalands dans la boutique. Il s’approcha de la boîte, la trouva belle, passa la main sur les poils des brosses, et, personne ne le voyant, emporta le tout. Il fit cela sans raison précise, pour le plaisir de voler ; à moins qu’il n’eût l’intention de vendre la boîte. Il ne la vendit pas. Un hasard peut faire naître une vocation. Le lendemain, Brascassou se tenait assis sur une borne, place Lafayette, près de l’hôtel Capoul, la boîte devant lui, toute neuve, audacieusement offerte aux passants : Brascassou était décrotteur.

Il fut heureux. Libre ! Plus de nonnes, plus de patron ! Couché sur le ventre, le menton dans le sable tiède, le dos brûlé par le dur soleil blanc qui chauffait toute la place, il lézardait avec délices, regardant son ombre longue traverser la chaussée, ne s’interrompant de son farniente de lazzarone que pour cirer les bottes