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OPINION D’UN PHILOSOPHE.

pudeur de cacher leurs joies à nos détresses, et qui caressent devant tous des filles, pendant que les mères pleurent leurs enfants !

Sur les boulevards, c’est encore pis : la prostitution tenace s’y étale et triomphe. Cela est donc vrai ce que me disait tout-à-l’heure un pauvre garçon, un rapin, philosophe amer : « Quand Paiis tout entier sera détruit, quand ses maisons, ses palais, ses monuments, renversés, émiettés, joncheront son sol maudit, et ne seront plus, sous le ciel, qu’une ruine démesurée, alors, de ce monceau informe, on verra, comme d’un immense sépulcre, sortir un fantôme de femme, squelette vêtu d’une robe éclatante, décolleté jusqu’aux côtes, et le crâne coiffé d’une toque ; et ce fantôme, courant de débris en débris, tournant parfois la tête pour voir si quelque libertin ressussité comme elle la suit dans la solitude, ce fantôme, ce sera l’âme affreuse de Paris ! »

Quand minuit approché, les cafés se ferment. Le délégué à l’ex-préfecture a pris l’habitude d’envoyer des compagnies de gardes nationaux qui hâtent et surveillent la fermeture des établissements publics. Mais cette précaution, comme tant d’autres, est inutile. Il y a des portes secrètes qui échappent aux plus minutieuses investigations. Quand les devantures sont closes, on voit filtrer de la clarté par les interstices des planches. Approchez-vous, collez votre œil à ces fentes lumineuses, écoutez le canon qui tonne, les mitrailleuses qui toussent horriblement, la fusillade qui crépite, et regardez à l’intérieur des établissements fermés. On cause, on mange, on fume, des garçons vont et viennent. Il y a des femmes qui vont d’une table à l’autre,