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LES CANONS. LA CROSSE EN L’AIR.

pu être utiles, ils ne seraient jamais dangereux. Eh bien ! pas du tout. Le mal qu’ils n’ont pas fait à la Prusse, c’est à la France qu’ils le font. Ironie cruelle ! ces canons, c’était Paris lui-même, tout entier, qui s’était fait bronze pour se défendre. On avait fabriqué ces pièces de sept, de huit, de vingt-quatre, ces mitrailleuses américaines, avec l’épargne des ménagères riches ou pauvres, avec les louis des hommes opulents et les liards des meurt-de-faim ; les artistes avaient offert leurs talents, les poètes leurs vers, les marchands leurs recettes, pour qu’on achetât des canons, des canons encore. Toutes les bouches à pain s’étaient privées pour qu’on eut des bouches à feu. Et voici que maintenant ces engins de guerre, qui n’ont pas servi pour la guerre nationale, causent la discorde civile, et au lieu de sauver Paris, le ruinent.

Ce sont ces canons que le 88e de ligne est allé chercher à Montmartre. Il les a pris d’abord, mais on les lui a repris, ou, pour mieux dire, il les a rendus. À qui ? à la foule, à des femmes, à des enfants. Quant aux chefs, on ne sait ce qu’ils sont devenus. On raconte pourtant que le général Lecomte a été fait prisonnier et conduit au Château-Rouge. Place Pigalle, à neuf heures, des chasseurs d’Afrique font une charge assez vigoureuse les gardes nationaux répondent par un feu de peloton. Un officier de chasseurs s’avance ; il tombe, frappé d’une balle. Ses soldats s’enfuient, la plupart chez les marchands devins, où ils fraternisent avec les patriotes qui offrent à boire, On m’affirme à l’instant même que le général Vinoy était à ce moment tout près de la place Pigalle, à cheval. Des femmes ont fait cercle autour de lui et l’ont