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CE QU’ON FAIT EN RENVERSANT LA COLONNE.

pays si radieux et Paris lui-même si flamboyant, qu’après bien des années d’obscurité, leur rayonnement était encore assez incontesté, assez énorme, pour que l’an dernier, pendant le siège, quand apparut au ciel l’aurore boréale, le peuple de Berlin, groupé sur les hauteurs afin d’admirer le phénomène céleste, s’écriât avec une terreur naïve : « Oh ! c’est Paris qui brûle ! » Démolir la colonne Vendôme, ne croyez pas que ce soit seulement renverser une colonne de bronze que surmonte une statue d’empereur ; c’est déterrer vos pères, pour souffleter les joues sans chair de leurs squelettes et pour leur dire : « Vous avez eu tort d’être braves, d’être fiers, d’être grands ! vous avez eu tort de conquérir des villes, de gagner des batailles, vous avez eu tort d’émerveiller le monde par la vision de la France éblouissante. » C’est jeter aux quatre vents les cendres des héros. C’est dire à ces vieillards qu’on voyait naguère par la ville — où sont-ils maintenant ? on ne les rencontre plus ; les avez-vous tués, ou bien, leur gloire évite-t-elle de coudoyer votre infamie ? — c’est dire aux vieux soldats des Invalides : « Vous n’êtes que des ganaches et des brigands ! Il te manque, à toi un bras, à toi une jambe ? Tant pis pour vous, canailles ! Voyez-vous, ces scélérats qui se sont fait estropier pour l’honneur de leur pays ! » C’est leur arracher leur vieille croix d’honneur, et les livrer par les rues aux gamins obscènes qui les suivront en criant « Au héros ! » comme on crie : « À la chienlit ! » Ah ! certes, je l’accorde, il est des grandeurs plus pures, moins coûteuses que celles qui résultent de la guerre et des conquêtes. Libre à vous de rêver pour votre patrie une gloire différente de sa