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SPECTRES ET REVENANTS.

peux de Charles Monselet ; mais maintenant, nous errons sur les débris de notre splendeur défunte, comme l’ombre de Diomède se promène à Pompéï sur les ruines de sa maison. Nous sommes ceux qui furent ; les cotes imaginaires des valeurs disparues sont comme de vaines épitaphes sur des tombeaux, et, spectres désespérés, nous mourrions de douleur une seconde fois, s’il ne nous était permis de nous apparaître l’un à l’autre dans ce palais désert et de nous y souvenir des hausses passées ! » Ainsi parlent les boursiers défunts, et ils ajoutent : « Ah ! Commune, Commune, rendez-nous nos fins de mois ! » Parfois un fantôme, qu’à sa mine encore hautaine, on reconnaît pour un mort de distinction, passe à côté d’eux. Du temps de Napoléon III et des Prussiens, c’était un agent de change ; il passe avec un portefeuille sous le bras. Tel le père d’Hamlet, après la tombe, conservait encore son casque et son épée. Il entre dans le palais, va vers la corbeille, pousse deux ou trois cris, auxquels répond seul l’écho des solitudes, et s’en retourne salué au passage par les autres fontômes. Et dire pourtant qu’il suffirait d’un petit bombardement suivi d’un assaut heureux, de sept ou huit cents maisons incendiées par les obus de Versailles, de sept ou huit mille gardes nationaux fusillés, de quelques femmes éventrées, de quelques enfants tués par-dessus le marché, pour rendre la vie et la joie à ces spectres désolés ! Mais, hélas ! tout espoir leur échappe ; la dernière circulaire de M. Thiers annonce que les grandes opérations militaires ne commenceront pas avant quelques jours. Il faut attendre, après avoir attendu ! Les gens qui passent sur la place de la Bourse s’écartent avec une religieuse terreur de la