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LA TRÊVE DE NEUILLY.

chaque minute à recevoir sur le dos le toit de leurs maisons effondrées, guettant un instant de lassitude dans l’acharnement de la canonnade pour se procurer à la hâte de quoi ne pas mourir de faim, pendant trois semaines ils ont enduré toutes les terreurs, tous les dangers de la bataille et du bombardement. Beaucoup sont morts, tous se croyaient sûrs de mourir. On raconte maintenant d’épouvantables détails. Deux vieillards, le mari et la femme, habitaient un peu au-dessus du restaurant Gilet, la maison où se trouve le bureau des omnibus Louvre-Courbevoie. Dès les premiers jours de la guerre, leur petit logement fut ravagé par trois obus qui vinrent y éclater coup sur coup. Les pauvres vieux ruinés, car ils ne possédaient guère autre chose que leur mobilier, se réfugièrent dans la cave selon la coutume. Là, le mari mourut, après quelques heures d’effroi. Comme il avait soixante-dix ans, il n’avait pas pu résister aux affres de l’épouvante. La femme, un peu plus jeune, fut plus forte. Quand la lutte s’interrompait, — bien rarement, hélas ! — elle sortait, et elle disait à ses voisins qui approchaient leurs, têtes des soupiraux de leurs caves :

— Mon mari est mort. Il faudrait l’enterrer ; que me conseillez-vous de faire ?

De porter le cadavre au cimetière, il n’en fallait pas parler. Qui aurait voulu se charger, en ce moment, de cette lugubre besogne. D’ailleurs, en route, les porteurs auraient probablement rencontré quelque boulet ou quelque balle, et il aurait fallu trouver d’autres gens pour les porter eux-mêmes. Une fois, la vieille veuve se ha-