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L’AFFAIRE DU MOULIN-SAQUET.

— Vengeur !

— Tiens, pensé-je, pourquoi donc parle-t-il si haut en donnant le mot d’ordre ?

Je n’avais pas achevé de me dire cela que je vis trois hommes s’élancer sur le capitaine et le renverser. En même temps deux ou trois cents gardes nationaux se précipitèrent à travers le camp, tuant à coup de baïonnette les artilleurs qui ronflaient sur leurs pièces, et faisant des feux de peloton sur les tentes où dormaient nos camarades. C’étaient tout simplement des gueux de sergents de ville qui s’étaient habillés en gardes nationaux ! Dame ! vous comprenez, dans ces moments-là, chacun pour soi et la grande route pour tous. Quand je dis : la grande route, c’est une façon de parler. Je me mis à plat ventre et me laissai rouler dans la tranchée. Il n’y avait pas de danger qu’on entendît le bruit de ma chute au milieu de la fusillade. Je me cachai, tant bien que mal, dans une espèce de creux qui était là, et qui avait été fait sans doute par un obus. De mon trou, je ne pouvais rien voir, mais j’entendais très-bien. Clic ! clac ! clic ! le chassepot fait tout à fait le bruit d’un grand coup de fouet. Et des cris à fendre l’âme ! Il y avait aussi des grincements d’essieux et des roulements de roues ; c’étaient nos canons qu’ils emportaient, ces filous ! Puis, je n’entendis plus rien que les plaintes des blessés, et je me hasardai à remonter. Ah ! Monsieur, j’étais le seul qui fût en état de se tenir debout ; les Versaillais avaient emmené tous ceux qui ne s’étaient pas enfuis ou qui n’étaient pas hors de combat ; et là-bas, on voyait courir dans la direction de Vitry ce tas de chenapans, qui se pressaient et qui avaient peur comme des voleurs qui s’en retournent. »