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MINOS, ÉAQUE ET RHADAMANTE.

— Pourquoi n’êtes vous pas en uniforme ? me demanda-t-il avec une brusquerie attendrie sans doute par le souvenir des londrès que je lui avais fréquemment offerts durant les nuits de garde.

À ce seul mot je compris ce dont il s’agissait et je répondis effrontément :

— Parce que je ne suis pas de service.

— Ah ! je crois bien que vous n’êtes pas de service. Il y a longtemps que vous vous reposez tranquillement tandis que les autres vont se faire tuer. C’est du propre !

Il devint évident pour moi que cet Espagnol m’en voulait à cause des cigares que je lui avais donnés.

— Enfin, de quoi s’agit-il ? Finissons-en.

Il ne répondit pas, mais il fit signe à deux fédérés qui se placèrent l’un à ma droite, l’autre à ma gauche, et me dirent :

— Marchons !

Je ne demandais pas mieux, bien qu’à vrai dire cette promenade ne fût pas tout à fait celle que j’avais préméditée. Sur notre passage une femme dit : « Pauvre jeune homme ! On l’aura pris sur le fait ! » Nous arrivâmes à l’église Notre-Dame-de-Lorette, et l’on m’introduisit dans la sacristie, où se trouvaient déjà une cinquantaine de réfractaires.

Derrière une table de bois blanc, où on avait placé un encrier en liège, deux plumes d’oie, et un petit registre, siégeaient trois jeunes gens, presque des gamins, en uniforme : quelque chose comme Minos, Éaque et Rhadamante ; à l’âge où ils jouaient à saute-mouton.

— Votre nom ? me demanda Rhadamante.

Je n’hésitai pas un instant et je prononçai un nom