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ASPECT DES BOULEVARDS.

rapproche. Il me semble que la bataille est là devant moi, tout près. Mille suppositions contraires m’assaillent et m’épouvantent, et ici, sur ce boulevard presque désert, personne à qui je puisse demander la vérité. Tout à l’heure, si je tourne dans quelque rue, je vais peut-être me trouver en face du combat. Je marche dans la direction de la Madeleine, entraîné par un désir plus fort que la prudence. En me rapprochant de la Chaussée-d’Antin, j’aperçois un grouillement tumultueux d’hommes, de femmes, d’enfants, qui vont et viennent, portant des pavés. On construit une barricade, elle a déjà un mètre de hauteur environ. Tout à coup, j’entends un roulement de lourde voiture ; je me retourne et je vois une chose étrange : des femmes haillonneuses, livides, horribles, et superbes, le bonnet phrygien sur la tête, la robe retroussée et passée dans leur ceinture, sont attelées à une mitrailleuse qu’elles tirent en courant ; d’autres femmes poussent par-derrière ou activent la rotation des roues. Cela passe très-vite, dans un bruit rauque et lourd, avec des couleurs sombres, tachées de rouge. Je suis à grands pas la mitrailleuse ; elle s’arrête un peu en avant de la barricade, accueillie par les clameurs joyeuses des insurgés. Les femmes se détellent, j’arrive à ce moment.

— Toi, me dit un jeune garçon comme on en voyait autrefois aux troisièmes galeries de l’Ambigu-Comique, tu vas me faire le plaisir de ne pas nous espionner, ou je te casse la tête comme à un Versaillais.

— Garde tes cartouches, bambin, lui répond un vieillard dont la barde blanche est très-longue, — un ancêtre, un burgrave de la guerre civile, — garde tes car-