Page:Mendès - Les 73 journées de la Commune, 1871.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

31
CE QUE J’Ai VU. — CE QU’ON RACONTE.

Nous verrons dans nos rues les barricades sanglantes, nous rencontrerons les sinistres brancards d’où pendent des mains noircies de poudre, et chaque femme pleurera, le soir, quand le mari tardera à rentrer, et les mères auront peur. La France, hélas ! la France, cette mère douloureuse aussi, succombera, tuée par ses propres enfants.

Je sortais du passage Choiseul. J’allais, en compagnie d’un ami, vers les Tuileries, occupées depuis hier par un bataillon dévoué au Comité central. Arrivés au coin de la rue Saint-Roch et de la rue Neuve-des-Petits-Champs, nous vîmes, au bout de cette dernière, dans la direction de la rue de la Paix, une foule assez compacte.

— Que se passe-t-il donc ? demandai-je à mon ami.

— Je crois, me dit-il, que c’est une manifestation sans armes qui se rend à la place Vendôme. Tout-à-l’heure, elle est passée sur le boulevard, en criant : « Vive l’ordre ! »

En parlant ainsi, nous nous étions rapprochés de la rue de la Paix. Tout-à-coup un bruit horrible éclata. C’était la fusillade ! Une fumée blanche s’éleva le long des murs, et, de toutes parts, on crie, on s’épouvante, on fuit, et, à cent pas devant nous, je vois tomber une femme. Est-elle blessée ou morte ? Qu’est-ce que ce massacre ? Que s’est-il passé, à Paris, en plein jour, sous ce grand soleil soyeux ? Nous avons à peine le temps de gagner une rue transversale, et nous suivons la foule qui s’échappe, et les magasins se ferment, et la sinistre nouvelle se répand de toutes parts dans Paris consterné.

Elle se répand avec une rapidité extraordinaire, mais très-diversement ; ici on atténue, plus loin on exagère.