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LA MATINÉE.

préparait ? que Paris, séparé de la France, serait bloqué par des Français ? qu’il serait, une seconde fois, privé de correspondre avec les départements, une seconde fois affamé peut-être ? qu’il y aurait, non pas quelques milliers d’hommes luttant jusqu’à la mort dans un des quartiers de la ville, mais des armées en présence, ayant toutes deux des chefs, des fortifications, des canons ; que Paris, enfin, serait assiégé de nouveau ? Surprise abominable du hasard !

Dès le matin, on a entendu le canon. Ah ! ce bruit qui, pendant le siège, nous faisait battre le cœur d’espérance, — oui, d’espérance, car il faisait croire à la délivrance possible — ce bruit, qu’il a été affreux, ce matin ! Je me suis dirigé vers les Champs-Élysées. Paris, véritablement, était désert. Comprenait-il, enfin, que dans cette révolution, il y va de son honneur, de son existence même, ou simplement n’était-il pas levé encore ? Des bataillons défilaient sur le boulevard, musiques en tête. Ils allaient vers la place Vendôme, ils chantaient. Les cantinières avaient des fusils. Quelqu’un me dit qu’on a travaillé toute la nuit aux abords de l’Hôtel de Ville et que toutes les rues avoisinantes sont traversées de barricades. D’ailleurs, personne ne sait rien, sinon qu’on se bat à Neuilly, que les « royalistes » ont attaqué et qu’on « égorge nos frères. » Place de la Concorde, quelques groupes. Je m’approche ; on parle de la question des loyers, oui, des loyers ! Ah ! certes, ceux qu’on tue en ce moment ne payeront pas leurs propriétaires. À la hauteur du Rond-Point j’aperçois distinctement une foule assez compacte autour de l’Arc-de-Triomphe, et je rencontre quelques gardes nationaux fatigués qui reviennent de la