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Page:Mercier - Tableau de Paris, tome IV, 1782.djvu/176

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tale peuplée de neuf cents mille ames, où la prodigieuse inégalité des fortunes, la variété des états, des opinions, des caracteres, forment les contrastes les plus énergiques & les plus piquans ; & tandis que mille personnages divers nous environnent avec leurs traits caractéristiques, appellent la chaleur de nos pinceaux, & nous commandent la vérité, nous quitterions aveuglément une nature vivante, où tous les muscles sont enflés, saillans, pleins de vie & d’expression, pour aller dessiner un cadavre grec ou romain, colorer ses joues livides, habiller ses membres froids, le dresser sur ses pieds tout chancelant, & imprimer à cet œil terne, à cette langue glacée, à ces bras roidis, le regard, l’idiome & les gestes qui sont de convenance sur les planches de nos tréteaux ? Quel abus du mannequin !

Si ce n’est point là la plus monstrueuse des farces, c’est assurément la plus ridicule, ou plutôt c’est l’oubli le plus impardonnable des plaisirs de nos nombreux concitoyens