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Page:Mercure de France - 1896 - Tome 17.djvu/217

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main de sauveur. Vous vous êtes servi d’une image qui m’a clairement fait comprendre votre « fuite hors du monde ». Vous vous compariez au faucon qui doit lutter contre le vent pour "atteindre les hauteurs ; j’étais la brise qui devait vous porter vers le ciel bleu, — sans moi vous étiez sans force. — Que cela est misérable ! Que tout cela est mesquin, ridicule même, comme vous l’avez senti vous-même à la fin ! La comparaison est pourtant tombée sur un terrain fécond, car elle en a évoqué une autre à mes yeux, qui n’est pas, comme la votre, percluse et boiteuse. Je vous ai vu, non comme un faucon, mais comme un cerf-volant, un cerf-volant de poète, fait en papier, dont le corps n’est qu’un accessoire, tandis que la ficelle en est le principal. Le large corps était plein de billets d’avenir en or poétique ; chaque aile était un amas d’épigrammes qui frappent l’air sans toucher personne ; le long cou était un poème sur le temps, qui pouvait paraître fouetter les défauts des hommes, mais qui ne parvenait qu’à murmurer tout bas sur ceci ou cela, où les devoirs sont méconnus. Vous étiez ainsi sans force devant moi et vous me demandiez : « Ô, soulevez-moi jusqu’aux vents de l’est ou de l’ouest ! Ô, aidez-moi à m’élever avec ma chanson, dût cela vous coûter les reproches d’une mère et d’une sœur ! »

Falk, les poings fermés, dans une forte émotion intérieure

— Mon Dieu, que — !

Svanhild

. — Non, croyez-moi, pour un tel jeu d’enfants

je suis trop grande : mais vous qui êtes né pour une action spirituelle, — il vous suffit d’une envolée jusqu’aux régions des nuages, et vous pouvez suspendre le poème de votre vie à un fil que je peux laisser tomber où et quand il me plaît !

Falk, vivement

— Quelle date est-ce aujourd’hui ? [1]

Svanhild, plus doucement

— Voyez, c’est bien ; que

ce jour vous soit un jour mémorable ; vous ferez le voyage sur vos propres ailes, qu’elles doivent vous briser ou vous porter. La poésie de papier est bonne pour le pupitre, et celle qui est vivante ne sort que de la vie ; celle-la seule a droit de passage dans les hauts espaces ; choisissez maintenant celle des deux que vous voulez. (Plus près de lui.) J’ai fait maintenant ce que vous m’aviez demandé : j’ai chanté sur la branche ma dernière

  1. Pour ne pas l’oublier.