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Page:Mercure de France - 1899 - Tome 29.djvu/104

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ce calme ténébreux, mes sens parurent avoir acquis une acuité surnaturelle. Je me figurai sentir le sol creux sous mes pieds et voir même à travers la terre les Morlocks, comme dans une fourmilière, allant de-ci de-là dans l’attente des ténèbres. Dans mon excitation, je m’imaginai qu’ils devaient avoir reçu mon invasion de leurs terriers comme une déclaration de guerre. Et pourquoi avaient-ils pris ma Machine ?

« Nous continuâmes donc dans la quiétude des choses, et le crépuscule s’épaissit jusqu’aux ténèbres. Le bleu clair du lointain s’effaça, et l’une après l’autre les étoiles parurent. Le sol devint terne et les arbres noirs. Les craintes de Weena et sa fatigue s’accrurent. Je la pris dans mes bras, lui parlant et la caressant. Puis comme l’obscurité augmentait, elle mit ses bras autour de mon cou et fermant les yeux appuya bien fort sa petite figure sur mon épaule. Nous descendîmes ainsi une longue pente jusque dans la vallée, où, à cause de l’obscurité, je tombai presque dans une petite rivière ; je la passai à gué néanmoins et montai le côté opposé de la vallée au delà de plusieurs palais-dortoirs, et d’une statue — de faune ou de quelque forme de ce genre — à laquelle il manquait la tête. Là, aussi, il y avait des acacias. Jusqu’alors je n’avais rien vu des Morlocks, mais la nuit n’était guère avancée et les heures sombres qui précèdent le lever de la nouvelle lune n’étaient pas encore proches.

« Du sommet de la colline, je vis un bois épais s’étendant, large et noir, devant moi. Cela me fit hésiter. Je n’en pouvais voir la fin, ni à droite, ni à gauche. Me sentant fatigué — mes pieds surtout