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Page:Mercure de France - 1899 - Tome 29.djvu/137

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sentis sur ma joue un chatouillement, comme si un papillon venait de s’y poser. J’essayai de le chasser avec ma main, mais il revint aussitôt et, presque immédiatement, un autre vint se poser près de mon oreille. J’y portai vivement la main et attrappai une sorte de filament qui me glissa rapidement entre les doigts. Avec un soulèvement de cœur atroce, je me retournai et me rendis compte que j’avais saisi l’antenne d’un autre crabe monstrueux, qui se trouvait juste derrière moi. Ses mauvais yeux se tortillaient sur leurs tiges proéminentes ; sa bouche semblait animée d’un grand appétit et ses vastes pinces maladroites — barbouillées d’une bave gluante — s’abaissaient sur moi. En un instant, ma main fut sur le levier, et je mis un mois de distance entre ces monstres et moi. Mais j’étais toujours sur la même grève et je les aperçus distinctement aussitôt que je m’arrêtai. Des douzaines d’autres semblaient ramper de tous côtés, dans la sombre lumière, parmi les couches superposées de vert intense.

« Il m’est impossible de vous exprimer la sensation d’abominable désolation qui enveloppait le monde ; le ciel rouge à l’orient, la ténèbre septentrionale, la mer morte et salée, la grève rocheuse encombrée de ces lentes et répugnantes bêtes monstrueuses, le vert uniforme et d’aspect empoisonné des végétations de lichen, l’air raréfié qui vous blessait les poumons, tout cela contribuait à produire un effet épouvantant. Je franchis encore un siècle, et il y avait toujours le même soleil rouge, — un peu plus large, un peu plus morne — la même mer mourante, le même air glacial, et le même grouillement de crustacés rampants,