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l’œuf de cristal

Le premier mouvement de Madame Cave, aussitôt qu’on eut remonté dans sa chambre le corps de son mari, avait été d’écrire à ce toqué de clergyman qui avait offert une si forte somme pour le cristal, afin de l’informer qu’elle l’avait retrouvé. Mais après d’impétueuses recherches, auxquelles prit part sa fille, elle dut se convaincre de la perte de son adresse. Comme elle n’avait pas les moyens nécessaires pour pleurer et enterrer Cave avec tout l’appareil que requiert la dignité d’un vieil habitant des Sept Cadrans, elle avait fait appel à un autre naturaliste de leur connaissance. Il avait bien voulu se charger, après estimation, d’une partie des marchandises. L’estimation fut faite par lui, et l’œuf de cristal fut compris dans l’un des lots. M. Wace, après quelques convenables condoléances, un peu promptement expédiées peut-être, se rendit en toute hâte chez le naturaliste. Mais là, il apprit que l’œuf de cristal avait déjà été vendu à un grand monsieur brun vêtu de gris.

Ici se terminent brusquement les faits matériels de cette curieuse et, du moins pour moi, très suggestive histoire. Le naturaliste ne savait pas qui était ce grand monsieur brun et il ne l’avait pas observé avec assez d’attention pour le décrire minutieusement. Il ne sut même pas dire de quel côté s’était dirigé son client en quittant la boutique. Pendant un certain temps, M. Wace resta là, exerçant la patience du marchand avec des questions désespérées, et donnant libre cours à sa propre exaspération. Enfin, se décidant tout d’un coup à convenir que la chose entière lui avait glissé des mains, s’était évanouie comme une vision dans l’ombre, il rentra chez lui, quelque peu étonné de trouver les notes qu’il avait prises encore tangibles et visibles sur sa table encombrée.