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Page:Mercure de France - 1914-06-16, tome 109, n° 408.djvu/127

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leul et des gamins avaient grimpé jusqu’aux fenêtres de l’église, sur le rebord desquelles ils s’étaient installés, les pieds pendants contre le mur : les filles se prenaient la tête dans leurs mains, les gamins se penchaient en avant pour mieux voir. Un grand mouvement en rond se fit, au centre duquel était pris Branchu, qui parut tourner sur lui-même, après quoi il pencha, et puis se redressa, et puis bascula tout à fait, et on ne distingua plus rien. A ce moment, deux ou trois hommes fendirent la foule : l’un d’eux tenait un marteau à long manche (de ceux dont on se sert pour casser les cailloux) : « Attendez ! leur criait-on, puisqu’on va le clouer… » Ils n’attendirent pas, déjà le marteau s’abattait. Et un mouvement de recul se fit, après ce mouvement en rond ; ainsi un cercle se forma autour de la place où se trouvait l’homme, qui continuait d’être caché : et voilà qu’à présent ils étaient dix au moins qui se précipitaient sur lui, dont l’homme au marteau à long manche, un qui levait en l’air un fléau à battre le blé, un autre une pelle à fossoyer, — lequel marteau, lequel fléau, laquelle pelle montèrent ensemble, retombèrent ; l’homme ne poussa pas un cri.

Ce silence faisait qu’on avait peine à respirer, il grandit, il grandit encore, et ce fut du fond de sa profondeur que ce rire soudain monta.

Le fléau, le marteau, la pelle, tout resta suspendu à mi-course dans l’air ; le cercle s’élargit rapidement autour du point qu’occupait l’homme ; ceux qui étaient au premier rang se retournèrent, bousculant ceux qui étaient derrière eux ; et tout le monde s’enfuyait maintenant, avec des cris, de tous côtés, par tous les débouchés des rues, les filles ayant sauté du banc et les gamins d’en haut le mur. Quelques-uns agitaient les bras au-dessus de leur tête, d’autres se couvraient les yeux de leurs mains, d’autres, éperdus, ayant fait quelques pas dans un sens, revenaient sans qu’on sût pourquoi en arrière ; certains aussi avaient roulé à terre, et avaient été piétinés ; il ne fallut pourtant qu’une minute ou deux pour que la place fût entièrement vide, et toute la partie du village qui y attenait.

Cependant l’Homme était debout, ses liens gisaient à terre ; ils avaient glissé, on eût dit, d’eux-mêmes le long de son corps.

L’Homme était là, qui souriait toujours ; il n’y avait plus