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AGU

la nouveauté l’emportèrent : les sceaux furent donnés à d’Argenson, et d’Aguesseau fut relégué à sa terre de Fresnes. Les folies du système remplirent entièrement les deux années qu’il y passa. On connaît la funeste catastrophe qui détrompa le public, et plongea le gouvernement dans de nouveaux embarras. Pour apaiser les mécontentements, le régent rappela d’Aguesseau en 1720 ; les sceaux lui furent rendus. Ce fut Law lui-même et le chevalier de Conflans, premier gentilhomme de la chambre du régent, qui allèrent chercher le chancelier à Fresnes, tandis que Dubois allait redemander les sceaux à d’Argenson. (voy. les Mémoires de Duclos.) Ce retour fut désapprouvé par un parti d’opposition qui se composait des parlementaires et de quelques gens de lettres qui trouvait inconvenant que d’Aguesseau acceptât une grâce dont Law était le porteur. Il eut été bien plus blâmable de se refuser à un rappel qui, par les formes même qu’on y avait employées, pouvait passer moins pour une faveur que pour une réparation de la part du chef de l’État. D’Aguesseau se crut honoré d’être rappelé dans un moment de danger, et s’occupa sur-le-champ de remédier au désordre commis pendant son absence. Il appliqua, autant qu’on le pouvait encore, les règles de la justice à la liquidation des billets de banque ; et la plus grande partie n’eut à subir qu’une réduction proportionnelle. Tout immense qu’elle était, elle eut un caractère moins odieux que la banqueroute entière et absolue qu’on avait proposée. De nouveaux orages l’attendaient dans cette cour corrompue, pour laquelle il n’était pas fait. Le régent, qui avait d’abord caressé le parlement pour faire anéantir le testament de Louis XIV, le tourmenta bientôt pour lui faire enregistrer la déclaration du roi portant acceptation de la bulle, par complaisance pour Dubois, devenu archevêque de Cambray, et qui, dans l’espérance d’obtenir le chapeau de cardinal, avait flatté la cour de Rome de cet enregistrement. D’Aguesseau s’y était refuse du temps de Louis XIV, sans être dirigé par aucun esprit de parti, uniquement par attachement aux droits de la couronne ; mais, devenu chancelier, et voyant alors les choses de plus haut, il crut devoir négocier avec le parlement. Cette cour se refusa à toutes les propositions, et fut exilée à Pontoise. Ce fut alors que le régent imagina de faire enregistrer la déclaration au grand conseil. La séance solennelle qui y fut tenue mérite d’être remarquée par un trait mordant dirige contre d’Aguesseau. Un des magistrats de cette cour, nommé Perelle, s’opposant avec vigueur à l’enregistrement, le chancelier lui demanda où il avait puisé toutes les maximes dont il appuyait son avis : « Dans les plaidoyers de feu M. le chancelier d’Aguesseau, » répondit-il froidement. Ce ne fut pas le seul sarcasme que le chancelier eut à essuyer ; on trouva affichés à sa porte ces mots : Homo factus est, application ironique des terrines sacramentels d’une religion au nom de laquelle on prétendait combattre. La cour ayant menacé d’envoyer le parlement à Blois, le chancelier offrit de remettre les sceaux au régent, qui le pria de différer. Il n’est pas douteux que d’Aguesseau n’eût été alors victime de sa résistance, si les choses ne se fussent arrangées, et si le parlement n’eût enfin consenti à l’enregistrement, avec les modifications obtenues ou consenties par les conseillers Menguy et Pucelle, qui dirigeaient toute la compagnie. (Voy. les Mémoires de Duclos.) D’Aguesseau ne jouit pas longtemps du rétablissement de sa faveur. En 1722, il ne voulut pas céder au cardinal Dubois, premier ministre, la préséance du conseil. Cet homme pervers, qui voulait éloigner de la cour et des conseils tout ce qui avait quelque vertu ou quelque dignité, fit exiler de nouveau le chancelier, qui ne fut rappelé qu’en 1727 ; mais les sceaux ne lui furent point rendus. La querelle au sujet des affaires ecclésiastiques ne manqua pas de se rallumer entre la cour et le parlement ; le cardinal de Fleury, qui avait alors (en 1732) la principale autorité, engagea d’Aguesseau à employer ses bons offices pour vaincre la résistance de la magistrature ; mais les combattants des deux partis se tournèrent bientôt contre le chancelier : les magistrats le traitèrent de déserteur de la cause qu’il avait autrefois défendue, tandis que la cour se plaignait de son dévouement aux intérêts de la magistrature. On ne lui rendit les sceaux qu’en 1737 ; mais il crut devoir se renfermer dans les fonctions de ministre de la justice ; jusqu’à la fin de sa vie, il fut aussi étranger aux affaires d’État qu’aux intrigues de cour. Ses travaux eurent surtout pour but de perfectionner notre législation, non pour la réformer ni en changer le fond, mais pour en déterminer le véritable esprit et en rendre l’exécution uniforme par toute la France. C’est sous ce point de vue qu’on doit considérer les ordonnances publiées pendant qu’il était chancelier ; les principales sont celles des donations, des testaments et des substitutions. Plusieurs eurent aussi pour but de régler la forme des instructions judiciaires ; telle est l’ordonnance sur l’instruction du faux, et celle qui a pour but les évocations et les règlements de juges. Le chancelier rédigea aussi l’ordonnance de Louis XV qui rétablit les droits de la noblesse en faveur des services militaires (voy. l’Hist. chr. du président Hénault.) En 1750, d’Aguesseau, âgé de quatre-vingt-deux ans, se sentit, pour la première fois, obligé par ses infirmités d’interrompre son travail, et ne voulut plus garder une charge dont il ne pouvait pas remplir tous les devoirs. Le roi, en acceptant sa démission, lui conserva les honneurs de chancelier, avec une pension de 100,000 fr. dont il ne jouit pas longtemps. Il mourut le 9 février 1751. D’Aguesseau avait épousé en 1694 Anne le Fèvre d’ormesson, que ses rares qualités avaient rendue digue d’être associée à l’éclat et au bonheur de sa vie. M. de Coulanges avait dit, au sujet de cette union, « que c’était la première fois qu’on avait vu les grâces et la vertu s’allier ensemble. » Madame d’Aguesseau était morte au village d’Auteuil en 1735, et avait été, d’après ses ordres, inhumée dans le cimetière commun de la paroisse ; son époux voulut partager la gloire de cette humble sépulture. Une simple croix, sans ornements, élevée par la piété de la famille, indiquait la tombe du chancelier