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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/271

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AGU

D’Aguesseau qui, dans les Instructions à son fils, parle des belles-lettres avec une espèce de passion, et compare l’amour qu’il a pour elles à celui qu’on a pour la terre natale ; qui appelle ses plus beaux jours ceux où il pouvait, dans sa première jeunesse, s’occuper sans distraction de la lecture des poëtes anciens, n’a jamais rien écrit ni pour la gloire littéraire, ni pour satisfaire le goût si vif qui le portait à ce genre d’occupation, de peur de dérober aux fonctions publiques une portion du temps qu’il leur devait. Duclos l’a très-injustement accusé du contraire. Le Discours sur la vie, etc., de son père offre une des lectures les plus attachantes. Dans cet écrit, qui n’était point destiné à être public, d’Aguesseau se livre sans réserve à toute la tendresse, à toute la reconnaissance filiale. L’exagération même des louanges a quelque chose de touchant, quand on songe que cet épanchement des sentiments de son cœur ne devait avoir pour témoins que ses propres enfants. On y trouve plusieurs anecdotes curieuses, et on y suit, avec un grand intérêt, le père du chancelier, dans les provinces dont l’administration lui fut successivement confiée. C’est pendant son intendance en Languedoc que le canal fut achevé, et l’on aime à voir combien ses soins y ont contribué. Il fonda aussi presque tous les établissements de manufactures de draps pour le Levant. Il se distingua par une piété pleine de tolérance et de douceur, et fut jugé digne d’être rappelé de son intendance, lorsqu’on voulut faire exécuter dans ces contrées des mesures militaires contre les protestants, après la révocation de l’édit de Nantes. Il entra alors au conseil d’État, et pendant près de trente ans, il prit part à tout ce qu’on y fit de plus important. Ce fut lui qui, le premier, eut l’idée d’instituer l’ordre de St-Louis. Il en rédigea l’édit de création, et en fit tous les règlements. Il fut recommandable par de grandes qualités, et même par celles qui constituent un homme d’État. Il ne posséda pas d’aussi grandes places que son fils ; mais il eut la gloire de l’avoir formé, et, à ce titre encore, il mériterait l’attention de l’histoire et la reconnaissance de la postérité. (Voy. Thomas.) B-E et D-s.


AGUESSEAU, (Henri-Cardin-Jean-Baptiste, marquis d’), petit-fils du chancelier, naquit au château de Fresnes, en 1746. D’un caractère faible et d’un esprit borné, il porta sans honneur le grand nom dont il avait hérité. C’est à ce nom sans doute, bien plus qu’a ses talents, qu’il dut les faveurs que lui accorda Napoléon. À l’exemple de son aïeul, il entra dans la carrière de la magistrature. Avant la révolution, il était avocat général au parlement de Paris, puis conseiller d’État et prévôt maître des cérémonies. En 1789, la noblesse du bailliage de Meaux le choisit pour la représenter aux états généraux. Il fut l’un des premiers de son ordre à se réunir au tiers état. Au mois de juin 1790, il se démit de ses fonctions, et Dubuat le remplaça. En 1792, il fut dénonce à l’assemblée législative, dans sa séance du 4 juin. Le capucin Chabot l’accusa de tenir chez lui des conciliabules secrets, et d’agir de concert avec le parti royaliste qui voulait dissoudre l’assemblée. Cette accusation n’eut pas de suite. D’Aguesseau n’émigra point. Pendant le règne de la terreur il se tint caché tantôt dans son château de Fresnes, tantôt dans un asile secret que lui offrit un homme généreux, son fermier. Bonaparte, devenu maître de la France sous le nom de premier consul, l’appela aux fonctions de président du tribunal d’appel de Paris. En lui présentant les hommages de son corps, 4 juillet 1800, d’Aguesseau lui adressa des félicitations sur ses victoires. Trois ans après il fut envoyé à Copenhague en qualité de ministre plénipotentiaire. Revenu en France en 1805, il fut successivement crée sénateur, commandant de la Légion d’honneur et comte de l’empire, et ne joua dans le sénat d’autre rôle que celui indiqué par sa faiblesse et la médiocrité de son esprit. Au retour de son long exil, Louis XVIII nomma le marquis d’Aguesseau pair de France et commandant de l’ordre du St-Esprit. Il disparut de la scène politique en 1815, et après la seconde restauration il entra à la chambre des pairs. Cette même année, il fut charge avec Desèze de présenter aux souverains alliés les ordres de St-Michel et du St-Esprit, que leur conférait le roi de France. D’Aguesseau était de l’Académie française, où il avait été reçu en 1787, en sa qualité de grand seigneur ; car ce ne pouvait être ni à cause de ses écrits, ni à cause de son savoir[1]. Conservé par l’ordonnance royale du 21 mars 1816, il fit partie de quelques commissions, et lut même des rapports et des opinions qui n’ont laissé de traces dans la mémoire de personne. Cependant s’il ne put se distinguer par ses talents, il se distingua par sa bienfaisance, et fut du nombre des grands propriétaires qui, en 1817, fournirent des secours aux indigents. Il entra, en 1819, dans la société dont les soins avaient pour objet l’amélioration des prisons, et fit partie de la commission des douze pairs, nommée pour la mise en accusation des prévenus de la conspiration militaire du 19 août. Il mourut en janvier 1826, et M. Droz, alors chancelier de l’Académie, prononça, à ses funérailles, un discours dans lequel il ne trouva à louer que l’homme de bien. Le marquis d’Aguesseau ne laissa que des filles, dont l’une a épousé M. Octave de Ségur. Ainsi en lui s’éteignit un nom illustre. Le château de Fresnes fut vendu, quelques mois après, aux démolisseurs, et il n’existe plus. M-d j.


AGUILA (C.-J.-E.-H. d’), ancien officier du génie et historien dont l’origine et l’existence sont peu connues, paraît avoir été l’un des voyageurs les plus célèbres de la fin du siècle dernier. Dans la préface d’un de ses ouvrages, il donne lui-même une espèce d’itinéraire de ses voyages, dont le premier fut celui d’Amérique. En 1770, il partit fort occupé du désir de voir le nouveau monde, d’où il se rendit en Angleterre. Deux ans plus tard, en 1772, il était à Stockholm en liaison intime avec plusieurs personnages politiques de partis opposés, ce qui le mit en position d’apprécier l’état des choses dans ce pays, à

  1. Il avait fait ou laissé vendre, en 1784, la belle et riche bibliothèque du chancelier, son grand-père. Le catalogue, que rédigea M. Née de la Rochelle, est recherché par les bibliographes.