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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/443

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force de 70,000 hommes, et commandée par le vieux Koutousoff (voy. ce nom), se réunit à ces débris qui formaient à peine un corps de 30,000 soldats, et elle tenta dans les champs d’Austerlitz (2 décembre 1803) les chances d’une bataille qui ne fut pas heureuse. La défaite qu’essuyèrent les armées combinées fut survie d’un armistice dont Alexandre profita pour opérer sa retraite, tout en annonçant qu’il ne prendrait aucune part au traité que l’Autriche pourrait conclure avec la France. On a publié qu’il fut au pouvoir de son adversaire de s’emparer de sa personne ; mais, outre qu’il semble difficile de croire que Napoléon eût laissé volontairement échapper une pareille occasion, il est sûr que ce fut à une fausse manœuvre de Murat qu’une partie de l’armée russe et l’empereur lui-même durent leur salut. C’est au moins ce que, par une contradiction assez remarquable, on a fait dire à Napoléon dans les compilations de Ste-Hélène. Après la défaite d’Austerlitz, l’armée russe se retira en Pologne. Alexandre fit déclarer au roi de Prusse que, conformément à leur traité, ses troupes étaient à sa disposition ; mais Frédéric-Guillaume, dont le zèle pour la coalition s’était fort affaibli depuis le désastre d’Austerlitz, accueillit froidement cette proposition. (Voy. Haugwitz.) Alexandre n’en persista pas moins à conserver une attitude hostile ; il dégagea le roi de Prusse de ses promesses, ajoutant toutefois que, lorsqu’il se dériderait combattre, les troupes russes qui occupaient le Hanovre, et toutes celles qui restaient dans son voisinage, seraient à son service. Ces offres séduisantes, et le ressentiment de quelques griefs particuliers, entraînèrent enfin Frédéric-Guillaume à la guerre. Sans attendre des secours dont il croyait pouvoir se passer, ce prince commença les hostilités avec une précipitation qui fut plus funeste encore que n’avait été celle de l’Autriche l’année précédente, et qui lui coûta en moins d’un mois son armée tout entière et la plupart de ses provinces. (Voy. Brunswick.) Des qu’Alexandre eut connaissance de ces désastres, il annonça, par une proclamation, que la chute de la Prusse, en compromettant la sûreté de ses propres États, l’entraînait de nouveau à combattre. Il ordonna en même temps une levée de 400,000 hommes. Tous ses peuples s’empressèrent de seconder ses vues et la guerre recommença sous des auspices qui pouvaient sembler favorables après les désastres d’Austerlitz et d’Iéna. Retranchés derrière la Vistule, les Russes attendirent les Français, et ils soutinrent les combats de Czarnowo, de Pultusk et de Golymin, avec une fermeté qui étonna leurs ennemis. Les deux armées firent de grandes pertes, et leur épuisement plus que toute autre cause amena un armistice qui se prolongea jusqu’au printemps de 1807. — Des succès plus décidés couronnaient dans l’Orient les efforts de l’autocrate : il avait incorporé le kannat de Kirvan à son empire ; et le prince Titsianow, qui depuis 1802 conduisait la guerre sur les frontières de Perse, termina par cette conquête une vie glorieuse. (Voy. Titsanow.) Les Russes, attaqués en même temps par plusieurs tribus du Caucase, les repoussèrent jusque vers l’Araxe et restèrent les maîtres de tout le pays. Mais la Turquie engagée par les succès et les promesses de Napoléon, préluda aux hostilités contre la Russie, en destituant, une infraction formelle au traité de Jassy, les hospodars de Moldavie et de Valachie. Alexandre fit sur-le-champ occuper ces deux provinces par le général Michelson, tandis que son escadre, aux ordres de Siniawin, détruisait la flotte turque dans deux combats successifs. Cependant son armée, battue sous les murs de Giurgewo et d’Ismaïl, allait être forcée de se retirer sur le Dniester, lorsque la catastrophe de Selim (voy. ce nom), paralysant les mouvements des Turcs, fit conclure une trêve. — Au commencement de 1807, la campagne s’ouvrit contre la France par la sanglante bataille d’Eylau, dont les deux partis s’attribuèrent la victoire, et où chacun d’eux fit des pertes immenses. Mais la prise de Kœnigsberg et la défaite de Friedland, qui suivirent de près, furent pour les Russes et les Prussiens des échecs plus incontestables. Découragé par ces revers, Alexandre fit des ouvertures de paix qui furent accueilli et suivies d’un prompt armistice. Les deux empereurs eurent une entrevue sur le Niemen, en présence de leurs armées, campées sur les deux rives du fleuve, et des le lendemain commencèrent les mémorables conférences de Tilsitt. Ces conférences durèrent vingt jours, et elles eurent pour résultat l’un des traités les plus importants et les plus extraordinaires de la diplomatie européenne. Par ce traité, que les deux empereurs signèrent le 7 juillet 1807, Alexandre reconnut Napoléon dans toute sa puissance et dans tous ses titres, même dans celui de protecteur de la confédération du Rhin, et il reconnut aussi ses frères comme rois de Naples, de Hollande et de Westphalie. Ce fut principalement des dépouilles de la Prusse que se composa ce dernier royaume ; et Frédéric-Guillaume, qui parut aussi à Tilsitt avec la belle reine de Prusse (voy. Louise-Auguste), y signa un traité de spoliation, où il fut oblige d’abandonner à Napoléon la plus grande partie de ses États, et même à la Russie un district de l’ancienne Pologne (celui de Bialistoch) qui lui était échu dans le premier partage. Alexandre promit sa médiation entre la France et l’Angleterre, et il s’engagea, si cette médiation était refusée, à subir toutes les conséquences du système continental. (Voy. Napoléon.) Voila ce que furent les stipulations ostensibles de Tilsitt. Mais, pour les observateurs éclairés, il resta démontré que des conditions secrètes et bien autrement importantes avaient été arrêtées entre les deux souverains. Si le public ne les a pas connues tout entières, la suite des événements on a fait assez comprendre le but et les motifs. Cependant le texte, que nous publions ici pour la première fois[1], étonnera plus d’un lecteur. Cependant il ne faut pas croire

  1. I. La Russie prendra possession de la Turquie européen ; et étendra ses conquêtes en Asie autant qu’elle le jugera convenable. — II. La dynastie des Bourbons en Espagne et la maison de Bragance en Portugal cesseront de régner. III. Un prince de la maison de Bonaparte succédera à chacune de ces couronnes. — III. L’autorité temporelle du pape cessera : Rome et ses dépendances seront réunies au royaume d’Italie. — IV. La Russie s’engage à aider la France de sa marine pour la conquête de Gibraltar. — V. Les Français prendront possession des villes situées en Afrique, telles que Tunis, Alger, etc. ; et, à la paix générale, toutes les conquêtes que les Français pourront avoir faites en Afrique seront données en indemnités au rois de Sardaigne et de Sicile — VI. L’île de Malte sera possédée par les Français, et il ne sera fait aucune paix avec l’Angleterre tant qu’elle n’aura pas cédé cette île. — VII. Les Français occuperont l’Égypte. — VIII. La navigation de la Méditerrané ne sera permise qu’aux navires français, russes, espagnole et italiens. Toutes les autres nations en seront exclues. — IX. Le Danemark sera indemnisé dans le nord de l’Allemagne par les villes hanséatiques, sous la clause qu’il consentira de remettre son escadre dans les mains de la France. ─ X. Leurs majestés les empereurs de Russie et de France conviendront ensemble d’un règlement d’après lequel il ne sera permis à aucune puissance de mettre des navires marchands, à moins qu’elle ne possède un certain nombre de bâtiments de guerre.