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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/46

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ABB

préliminaire fut signé, et la convention définitive dut être arrêtée dans le camp des vainqueurs et sous leurs drapeaux. Une escorte russe fut envoyée au-devant du prince royal et le rencontra près de Schewister et du lac Urmio. La il apprit que le général Bekendorf devait lui faire une réception plus solennelle, et s’avança accompagné seulement de Feth-Ali-Kan et de quelques officiers étrangers. Un officiers russe a donné la chronique de ces faits dans une lettre qui peint sous un jour très-favorable le caractère d’Abbas-Mirza. Il parle avec enthousiasme de la noblesse de ces manières, de la grâce et de l’obligeance qu’il savait unir a la dignité d’un souverain, du feu de son regard, du sourire naturel qui animait constamment sa physionomie, et laissait à peine entrevoir quelques traces de souci. L’auteur de cette lettre reproduit avec complaisance les observations naïvement piquantes que le prince eut occasion de faire en passant la revue de ce corps d’armée russe ; il termine en donnant beaucoup d’éloges à son intelligence, à son esprit et à l’élévation de ses vues. « Son désir le plus ardent est, ajoute l’officier russe, d’éclairer son peuple ; mais il n’a pas assez d’énergie pour cela, et son peuple n’est pas chrétien : les préjugés entravent toutes ses entreprises. » Abbas-Mirza s’entendit avec les négociateurs russes pour la conclusion du traité, et y apposa son seing ; mais alors les affaires encore indécises de la Turquie, le secret appui de l’Angleterre, suggérèrent au roi la pensée d’en différer la ratification. Ces retards inquiétèrent la Russie ; elle reprit les hostilités, et en dernier lieu la Perse dut renoncer a une résistance qui était au-dessus de ses forces. Un traité définitif, qui conféra à ses vainqueurs des avantages immenses, fut signé le 10-22 février 1828 a Tourcmantschai. Le cabinet de St-Pétersbourg y confirmait l’art. 4 de celui de Goulistan, ou les droits d’Abbas-Mirza au trône étaient reconnus. Aussi, à partir de cette époque, le prince, qui redoutait la puissance russe pour l’intégrité de son royaume et comprenait qu’il lui importait de l’avoir pour appui plutôt que pour ennemie, essaya de se rapprocher d’elle ; après lui avoir été si hostile, il s’étudia d’une manière toute spéciale à gagner sa bienveillance. Il en trouva bientôt l’occasion dans une déplorable affaire, le massacre de l’ambassade russe, provoqué du reste par les exigences hautaines de l’ambassadeur lui-même, M. de Grybydoff. (Voy. Feth-Ali.) Tandis que les autres fils du roi, ne pouvant, disaient-ils, supporter que le royaume fût ainsi sacrifié à la Russie, mais, en réalité, par jalousie contre jalousie contre la fortune de leur frère préféré, cherchaient à rallumer la haine du peuple et à exploiter les circonstances pour ramener une collision entre les deux nations, Abbas-Mirza, au contraire, faisait secrètement témoigné au général russe les regrets qu’il éprouvait de ces événements. Le personnage qu’il avait envoyé à Paskevitch était également chargé de lui demander ses conseils sur la conduite que le prince devait tenir dans cette situation pleine d’incertitudes. Le général Paskevitch répondit en exposant combien une nouvelle guerre pourrait être funeste pour la Perse, ne craignent pas de lui montrer comme conséquence la ruine de la dynastie des Kadjars. « Ne comptez ni sur les promesses des anglais, ni sur les assertions des turcs, continuait le général. Le sultan est dans la position la plus critique : notre flotte bloque les Dardanelles et empêche d’alimenter Constantinople. L’amiral Kumani et au delà de Borgas. Andrinople prévoit avec effroi le moment de sa chute. La volonté de l’empereur s’exécute avec unanimité et par des troupes dont la valeur est connue de L’Europe. Les Anglais ne vous défendront pas ; leur politique n’a en vue que les intérêts de leurs possessions de l’Inde. Nous pouvons en Asie conquérir un royaume, et personne ne s’en inquiétera : en Europe, chaque pouce de terrain peut donner lieu des guerres sanglantes. La Turquie est nécessaire à l’équilibre européen ; mais les puissances de l’Europe ne regardent pas qui gouverne la Perse. Votre indépendance politique est entre nos mains ; tout votre espoir doit être dans la Russie ; elle seule peut précipiter votre ruine ; elle seule peut vous servir d’appui. » Il n’y avait qu’un moyen d’effacer l’attentat que le Schah-Zadéh déplorait, c’était de solliciter le pardon du grand monarque de Russie pour la perfide trahison de la populace de Teheran ; Abbas-Mirza pouvait atteindre ce but, en adressant au général un de ses frères ou un de ses fils à Tiffis, d’où il l’expédierait en ambassade à St-Pétersbourg. Paskevitch prenait sur lui de faire agréer cette démarche. En même temps pour donner à la Russie une preuve de cet attachement dont le prince avait si souvent protesté, il devait faire prendre une autre direction à la politique du schah, il fallait rompre avec la Turquie, pénétrer dans ses provinces, et le général russe promettait des armes, de l’artillerie et sa coopération. La réponse d’Abbas-Mirza fut en effet l’envoi de son fils, Khosrou-Mirza, en ambassade à St-Pétersbourg ; et le cabinet moscovite, qui ne pouvait d’ailleurs approuver la conduite de son agent, ni méconnaître la sincérité des mesures prises par la cour de Teheran pour en prévenir les sanglants effets, se contenta de cette démarche. — De ce moment, la Perse rentre en elle-même, sans que la Russie et l’Angleterre cessent de s’observer, d’autant que cette dernière avait vu avec une juste inquiétude le nouvel agrandissement et la position prise par sa rivale dans le traite de Tourcmantschai. « Les acquisitions de la Russie sur la Perse, a dit depuis un auteur anglais, égalent en étendue l’Angleterre elle-même. » Elle a reculé de ce côté ses frontières de plus de 950 milles, transportant à la même distance ces lignes de douanes, son système protecteur et d’exclusion ; tout cela au détriment de l’Angleterre, qui, auparavant, fasait le commerce libre de ces contrées. — Abbas s’applique alors à trancher les querelles intérieures du roi avec des chefs rebelles, à surveiller ses frontières contre les incursions des Usbeks, et a délivrer les sujets persans emmenés en esclavage par ces tribus. Sur ce dernier point, il semblait devoir agir de concert avec la Russie, dont les nationaux, voyageant de la frontière à Bockara, éprouvaient en grand nombre