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Page:Michel - La Commune, 1898.djvu/311

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en parcelles impalpables les papiers qu’Excoffons et moi nous avions dans nos poches, je fus assez heureuse pour donner à madame Dereure et à madame Barois des nouvelles de leurs maris, qu’elles croyaient morts ; je les avais vus depuis, la pauvre madame Millière, il n’y avait rien à lui dire. Le matin, on nous distribua à chacune un morceau de pain du siège, et on me dit que je serais exécutée le lendemain seulement ; comme il vous plaira ! répondis-je.

Les jours passèrent. La Commune était morte depuis longtemps. Nous avions entendu le dernier coup de canon de son agonie, le dimanche 28. Nous avions vu arriver un convoi de femmes et d’enfants, qu’on renvoya à Versailles, Satory étant trop plein, sauf quelques-unes des femmes, les plus coupables qu’on laissa avec nous. C’étaient des cantinières de la Commune.

On ne peut rien imaginer de plus horrible que les nuits de Satory. On pouvait entrevoir par une fenêtre à laquelle il était défendu de regarder, sous peine de mort, (mais ce n’était pas la peine de se gêner) des choses comme on n’en vit jamais.

Sous la pluie intense où de temps à autre, à la lueur d’une lanterne qu’on élevait, les corps couchés dans la boue apparaissaient, sous formes de sillons ou de flots immobiles s’il se produisait un mouvement dans l’épouvantable étendue sur laquelle ruisselait l’eau. On entendait le petit bruit sec des fusils, on voyait des lueurs et les balles s’égrenaient dans le tas, tuaient au hasard.

D’autres fois, on appelait des noms, des hommes se levaient et suivaient une lanterne qu’on portait en avant, les prisonniers portant sur l’épaule la pelle et la pioche pour faire leurs fosses, qu’ils creusaient eux-mêmes, puis suivaient des soldats, le peloton d’exécution.