Aller au contenu

Page:Michel - Prise de possession.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vêtue d’une camisole trop courte et d’une jupe trop longue qu’elle oubliait de relever ; cette jupe était garnie, en bas, comme d’une large bande de velours par la boue épaisse et blanche qui l’alourdissait. On eût dit un vêtement de brocart.

Avec une intelligence au-dessus de son âge, l’enfant se faisait aider par une douzaine d’oies, qui lui obéissaient gentiment avec des minauderies, des gracieusetés d’oies, tordant et détordant leur cou, ramant avec leurs pattes pour la suivre plus vite dans la poussière du chemin, et se balançant derrière elle comme des barques.

L’enfant était maigre, ses grands yeux noirs roulaient des larmes, et pourtant une sorte d’audace lui faisait lever la tête.

Ses regards s’attachaient avec douleur sur ses bêtes, seules amies qu’elle eût. Est-ce qu’on ne va pas les lui ravir pour les vendre ou pour les enfermer les pattes clouées dans des jarres, d’où elles la regarderont tristement le matin, comme pour lui demander de les emmener avec elle ?

Sans rien y pouvoir, elle les verra souffrir. Tu n’es pas au bout, ma petite ; tu en verras bien d’autres, et pour toi et pour des petits malheureux comme toi, quoique tu passes pour heureuse où tu es.

Regardons plus bas, c’est ici l’enfer du Dante ; plus bas toujours, plus bas, dans la douleur.

Tout au fond, c’est Sophie Grant. La mère est morte, le père est au bagne. L’enfant a déjà gagné rudement sa vie ; elle avait un abri alors, mais son maître fait faillite. La chance n’est pas grande pour les petits commerçants ; il faut bien que le grand commerce s’étale, n’est-ce pas ?

Voilà Sophie Grant dans la rue, comme tant et tant d’autres, mais elle ne veut pas être une marchandise, elle ne veut pas se vendre ; la société a quelque chose à lui offrir : la prison. Il n’y a pas d’autre asile pour les petites