Page:Michelet - Œuvres complètes Vico.djvu/430

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un seul mot, comme les espèces au genre, les parties qu’avait mises ensemble le langage poétique. Ainsi cette phrase poétique usitée chez toutes les nations, le sang me bout dans le cœur, fut exprimée par un seul mot, stomaxos, ira, colère. Les hiéroglyphes et les lettres alphabétiques furent aussi comme autant de genres auxquels on ramena la variété infinie des sons articulés. Cette méthode abrégée, appliquée aux mots et aux lettres, donna plus d’activité aux esprits et les rendit capables d’abstraire ; ensuite purent venir les philosophes, qui, préparés par cette classification vulgaire des mots et des lettres, travaillèrent à celle des idées et formèrent les genres intelligibles. Ne conviendra-t-on pas maintenant que, pour trouver l’origine des lettres, il fallait chercher en même temps celle des langues ?

Quant au chant et au vers, nous avons dit dans nos axiomes que, supposé que les hommes aient été d’abord muets, ils commencèrent par prononcer les voyelles en chantant, comme font les muets ; puis ils durent, comme les bègues, articuler aussi les consonnes en chantant[1]. Ces premiers hommes ne devaient s’essayer à parler que lorsqu’ils éprouvaient des passions très violentes. Or, de telles passions s’expriment par un ton de voix très élevé, qui multiplie les diphtongues et devient une sorte de chant. Ce premier chant vint naturellement de la difficulté

  1. Ce qui le prouve, ce sont les diphtongues qui restèrent dans les langues et qui durent être bien plus nombreuses dans l’origine. Ainsi les Grecs et les Français, qui ont passé d’une manière prématurée de la barbarie à la civilisation, ont conservé beaucoup de diphtongues. Voyez la note de l’axiome 21. (Vico.)