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TABLEAU DE LA FRANCE

est le bon temps pour Saint-Malo ; ils ne connaissent pas de plus charmante fête. Quand ils ont eu récemment l’espoir de courir sus aux vaisseaux hollandais, il fallait les voir sur leurs noires murailles avec leurs longues-vues, qui couvaient déjà l’Océan[1].

A l’autre bout, c’est Brest, le grand port militaire, la pensée de Richelieu, la main de Louis XIV ; fort, arsenal et bagne, canons et vaisseaux, armées et millions, la force de la France entassée au bout de la France : tout cela dans un port serré, où l’on étouffe entre deux montagnes chargées d’immenses constructions. Quand vous parcourez ce port, c’est comme si vous passiez dans une petite barque entre deux vaisseaux de haut bord ; il semble que ces lourdes masses vont venir à vous et que vous allez être pris entre elles. L’impression générale est grande, mais pénible. C’est un prodigieux tour de force, un défi porté à l’Angleterre et à la nature. J’y sens partout l’effort, et l’air du bagne et la chaîne du forçat. C’est justement à cette pointe où la mer, échappée du détroit de la Manche, vient briser avec tant de fureur que nous avons placé le grand dépôt de notre marine. Certes, il est bien gardé. J’y ai vu mille canons[2]. L’on n’y entrera pas ; mais l’on n’en sort pas comme on veut. Plus d’un vaisseau a péri à la passe de Brest[3]. Toute cette côte est un cimetière. Il s’y perd soixante embarcations chaque hiver. La mer est anglaise d’inclination ;

  1. L’auteur était à Saint-Malo au mois de septembre 1831.
  2. A l’arsenal, sans compter les batteries (1833).
  3. Par exemple, le Républicain, vaisseau de cent vingt canons, en 1793.