Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
SUITE DE LA CROISADE. — LES COMMUNES

bles ; les mères en éloignaient leurs fils, les femmes leurs maris ; ils l’auraient tous suivi aux monastères. Pour lui, quand il avait jeté le souffle de vie sur cette multitude, il retournait vite à Clairvaux, rebâtissait près du couvent sa petite loge de ramée et de feuilles[1], et calmait un peu dans l’explication du Cantique des cantiques, qui l’occupa toute sa vie, son âme malade d’amour.

Qu’on songe avec quelle douleur un tel homme dut apprendre les progrès d’Abailard, les envahissements de la logique sur la religion, la prosaïque victoire du raisonnement sur la foi… C’était lui arracher son Dieu !

Saint Bernard n’était pas un logicien comparable à son rival ; mais celui-ci était parvenu à cet excès de prospérité où l’infatuation commune nous jette dans quelque grande faute. Tout lui réussissait. Les hommes s’étaient tus devant lui ; les femmes regardaient toutes avec amour un jeune homme aimable et invincible, beau de figure et tout-puissant d’esprit, traînant après soi tout le peuple. « J’en étais venu au point, dit-il, que quelque femme que j’eusse honorée de mon amour, je n’aurais eu à craindre aucun refus. » Rousseau

  1. Guill. de S. Theod. « Jusqu’ici tout ce qu’il a lu dans les saintes Écritures, et ce qu’il y sent spirituellement, lui est venu en méditant et en priant dans les champs et dans les forêts, et il a coutume de dire en plaisantant à ses amis qu’il n’a jamais eu en cela d’autres maîtres que les chênes et les hêtres. » — Saint Bernard écrit à un certain Murdach qu’il engage à se faire moine : « Experto crede ; aliquid amplius in silvis invenies quam in libris. Ligna et lapides docebunt te quod a magistris audire non possis… An non montes stillant dulcedinem, et colles fluunt lac et mel, et valles abundant frumento ? »