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HISTOIRE DE FRANCE

armée. Les croisés étaient bien autrement aguerris ; les Grecs ne purent soutenir l’assaut ; Nicétas avoue naïvement que, dans ce moment terrible, un chevalier latin, qui renversait tout devant lui, leur parut haut de cinquante pieds[1].

Les chefs s’efforcèrent de limiter les abus de la victoire ; ils défendirent, sous peine de mort, le viol des femmes mariées, des vierges et des religieuses. Mais la ville fut cruellement pillée. Telle fut l’énormité du butin, que cinquante mille marcs ayant été ajoutés à la part des Vénitiens, pour dernier payement de la dette, il resta aux Francs cinq cent mille marcs[2]. Un nombre innombrable de monuments précieux, entassés dans Constantinople, depuis que l’empire avait perdu tant de provinces, périrent sous les mains de ceux qui se les disputaient, qui voulaient les partager, ou qui détruisaient pour détruire. Les églises, les tombeaux, ne furent point respectés. Une prostituée chanta et dansa dans la chaire du patriarche[3]. Les barbares dispersèrent les ossements des empereurs ; quand ils vinrent au tombeau de Justinien, ils s’aperçurent avec

  1. Ailleurs il se contente de dire : « Ces Francs étaient aussi hauts que leurs piques. »
  2. Villehardouin.
  3. Nicétas : « Les croisés se revêtaient, non par besoin, mais pour en faire sentir le ridicule, de robes peintes, vêtement ordinaire des Grecs ; ils mettaient nos coiffures de toile sur la tête de leurs chevaux, et leur attachaient au cou les cordons qui, d’après notre coutume, doivent pendre par derrière ; quelques-uns tenaient dans leurs mains du papier, de l’encre et des écritoires pour nous railler, comme si nous n’étions que de mauvais scribes ou de simples copistes. Ils passaient des jours entiers à table ; les uns savouraient des mets délicats ; les autres ne mangeaient, suivant la coutume de leur pays, que du bœuf bouilli et du lard salé, de l’ail, de la farine, des fèves et une sauce très forte. »