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HISTOIRE DE FRANCE

pacifique qu’il s’était contenté autrefois de jouer entre le pape et l’empereur. L’illustre et infortunée maison de Souabe était abattue ; le pape mettait à l’encan ses dépouilles. Il les offrait à qui en voudrait, au roi d’Angleterre, au roi de France. Louis refusa d’abord pour lui-même, mais il permit à son frère Charles d’accepter. C’était mettre un royaume de plus dans sa maison, mais aussi sur sa conscience le poids d’un royaume. L’Église, il est vrai, répondait de tout. Le fils du grand Frédéric II, Conrad, et le bâtard Manfred, étaient, disait-on, des impies, des ennemis du pape, des princes plus mahométans que chrétiens. Cependant, tout cela suffisait-il pour qu’on leur prît leur héritage ? et si Manfred était coupable, qu’avait-il fait le fils de Conrad, le pauvre petit Corradino, le dernier rejeton de tant d’empereurs ? Il avait à peine trois ans.

Ce frère de saint Louis, ce Charles d’Anjou, dont son admirateur Villani a laissé un portrait si terrible, cet homme noir, qui dormait peu[1], fut un démon tentateur pour saint Louis. Il avait épousé Béatrix, la dernière des quatre filles du comte de Provence. Les trois

  1. « Ce Charles fut sage et prudent dans les conseils, preux dans les armes, sévère, et fort redouté de tous les rois du monde, magnanime, et de hautes pensées qui l’égalaient aux plus grandes entreprises ; inébranlable dans l’adversité, ferme et fidèle dans toutes ses promesses, parlant peu et agissant beaucoup, ne riant presque jamais, décent comme un religieux, zélé catholique, âpre à rendre justice, féroce dans ses regards. Sa taille était grande et nerveuse, sa couleur olivâtre, son nez fort grand. Il paraissait plus fait qu’aucun autre seigneur pour la majesté royale. Il ne dormait presque point. Il fut prodigue d’armes envers ses chevaliers ; mais avide d’acquérir, de quelque part que ce fût, des terres, des seigneuries et de l’argent pour fournir à ses entreprises. Jamais il ne prit de plaisir aux mimes, aux troubadours et aux gens de cour. » (Villani.)