Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/268

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heure, qui venait de la Grève à peine, qui n’était même connue que des deux petites bandes de l’avant-garde, n’était pas pour contenir cent mille hommes qui suivaient.

La foule était enragée, aveugle, ivre de son danger même. Elle ne tua cependant qu’un seul homme dans la place, elle épargna ses ennemis les Suisses, qu’à leurs sarreaux elle prenait pour des domestiques ou des prisonniers ; elle blessa, maltraita ses amis les invalides. Elle aurait voulu pouvoir exterminer la Bastille ; elle brisa à coups de pierres les deux esclaves du cadran ; elle monta aux tours pour insulter les canons ; plusieurs s’en prenaient aux pierres et s’ensanglantaient les mains à les arracher. On alla vite aux cachots délivrer les prisonniers ; deux étaient devenus fous. L’un, effarouché du bruit, voulait se mettre en défense ; il fut tout surpris quand ceux qui brisèrent sa porte se jetèrent dans ses bras en le mouillant de leurs larmes. Un autre, qui avait une barbe jusqu’à la ceinture, demanda comment se portait Louis XV ; il croyait qu’il régnait encore. À ceux qui demandaient son nom il disait qu’il s’appelait le major de l’Immensité.

Les vainqueurs n’avaient pas fini ; ils soutenaient dans la rue Saint-Antoine un autre combat. En avançant vers la Grève, ils rencontraient de proche en proche des foules d’hommes qui, n’ayant pas pris part au combat, voulaient pourtant faire quelque chose, tout au moins massacrer les prisonniers. L’un fut tué dès la rue des Tournelles, un autre sur le