Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/412

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n’avait pas donné de fête depuis la visite de l’empereur Joseph II. Les vins sont prodigués royalement. On porte la santé du roi, de la reine, du dauphin ; quelqu’un, timidement, bien bas, propose celle de la nation, mais personne ne veut entendre. À l’entremets, on fait entrer les grenadiers de Flandre, les Suisses, d’autres soldats. Ils boivent, ils admirent, éblouis des fantastiques reflets de ce lieu singulier, unique, où les loges tapissées de glaces renvoient les lumières en tous sens.

Les portes s’ouvrent. C’est le roi et la reine… On a entraîné le roi, qui revenait de la chasse. La reine fait le tour des tables, belle et parée de son enfant qu’elle porte dans ses bras… Tous ces jeunes gens sont ravis, ils ne se connaissent plus… La reine, il faut l’avouer, moins majestueuse à d’autres époques, n’avait jamais découragé les cœurs qui se donnaient à elle ; elle n’avait pas dédaigné de mettre dans sa coiffure une plume du casque de Lauzun[1]… C’était même une tradition que la déclaration hardie d’un simple garde du corps avait été accueillie sans colère, et que, sans autre punition qu’une ironie bienveillante, la reine avait obtenu de l’avancement pour lui.

Si belle et si malheureuse !… Comme elle sortait avec le roi, la musique joue l’air touchant : Ô Richard, ô mon roi, l’univers t’abandonne ! À ce coup, les cœurs furent percés… Plusieurs arrachèrent leur

  1. Que m’importe que Lauzun l’ait offerte ou qu’elle l’ait demandée ? (Voir Mémoires de Campan, et Lauzun (Revue rétrospective, etc.)