Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/100

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Qu’on me permette d’insister. — Ce fait, peu remarqué encore, n’est point un détail indifférent, purement anecdotique de la vie privée. Il eut sur Madame Roland une grande influence en 1791, et la puissante action qu’elle exerça dès cette époque serait beaucoup moins explicable, si l’on ne voyait à nu les causes particulières qui passionnaient alors cette âme, jusque-là calme et forte, mais d’une force tout assise en soi et sans action au dehors.

Madame Roland menait sa vie obscure, laborieuse, en 1789, au triste clos de La Platière, près de Villefranche et non loin de Lyon. Elle entend, avec toute la France, le canon de la Bastille : son sein s’émeut et se gonfle ; le prodigieux événement semble réaliser tous ses rêves, tout ce qu’elle a lu des Anciens, imaginé, espéré ; voilà qu’elle a une patrie. La Révolution s’épand sur la France ; Lyon s’éveille et Villefranche, la campagne, tous les villages. La fédération de 1790 appelle à Lyon une moitié du royaume, toutes les députations de la garde nationale, de la Corse à la Lorraine. Dès le matin, Madame Roland était en extase sur l’admirable quai du Rhône et s’enivrait de tout ce peuple, de cette fraternité nouvelle, de cette splendide aurore. Elle en écrivit le soir la relation pour son ami Champagneux, jeune homme de Lyon, qui, sans profit et par pur patriotisme, faisait un journal. Le numéro, non signé, fut vendu à soixante mille. Tous ces gardes nationaux, retournant chez eux, emportèrent, sans le savoir, lame de Madame Roland.