Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« pour cause d’indignité ». Dans quel état de corruption et de barbarie avait-il laissé ce peuple ? L’abominable guerre civile dont l’expulsion du pape fut l’occasion, est elle-même une accusation contre lui. Cette Provence, jadis policée, cette terre adorée de Pétrarque, autrefois l’une des grandes écoles de la civilisation, qu’était-elle devenue dans les mains des prêtres ?

Depuis longtemps Avignon avait la guerre en elle-même, avant qu’elle n’éclatât. Dans son peuple de trente mille âmes, il y avait deux Avignon, celle des prêtres, celle des commerçants. La première, avec ses cent églises, son palais du pape, ses cloches innombrables, la ville carillonnante, pour l’appeler comme Rabelais. La seconde, avec son Rhône, ses ouvriers en soierie, son transit considérable ; double passage, de Lyon à Marseille, de Nîmes à Turin.

La ville commerçante, en rapport avec le commerce protestant du Languedoc, avec Marseille et la mer, l’Italie, la France et le monde, recevait de tous les côtés un grand souffle qu’on lui défendait d’aspirer. Elle gisait, étouffée, asphyxiée, mourante. Île infortunée au sein de la France, comme les morts de Virgile, elle regardait à l’autre bord, brûlant de désir et d’envie.

La pire torture qu’ils éprouvaient, ces pauvres Français d’Avignon, c’était d’être une terre de prêtres, d’avoir le clergé pour seigneur. C’était pour eux un constant serrement de cœur de voir ces prêtres de cour, oisifs, élégants, hardis, rois du