Page:Michelet - OC, Les Femmes de la Révolution, Les Soldats de la Révolution.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
HÉROÏSME DE PITIÉ

pendant que toutes les prisons s’étaient adoucies, celle-ci s’était endurcie. Chaque année on aggravait, on bouchait des fenêtres, on ajoutait des grilles.

Il se trouva qu’en ce Latude, la vieille tyrannie imbécile avait enfermé l’homme le plus propre à la dénoncer, un homme ardent et terrible, que rien ne pouvait dompter, dont la voix ébranlait les murs, dont l’esprit, l’audace, étaient invincibles. Corps de fer indestructible qui devait user toutes les prisons, et la Bastille, et Vincennes, et Charenton, enfin l’horreur de Bicêtre, où tout autre aurait péri.

Ce qui rend l’accusation lourde, accablante, sans appel, c’est que cet homme, tel quel, échappé deux fois, se livra deux fois lui-même. Une fois, de sa retraite, il écrit à Mme de Pompadour, et elle le fait reprendre ! La seconde fois, il va à Versailles, veut parler au roi, arrive à son antichambre, et elle le fait reprendre… Quoi ! l’appartement du roi n’est donc pas un lieu sacré !…

Je suis malheureusement obligé de dire que, dans cette société molle, faible, caduque, il y eut force philanthropes, ministres, magistrats, grands seigneurs, pour pleurer sur l’aventure ; pas un ne fit rien. Malesherbes pleura, et Lamoignon, et Rohan, tous pleuraient à chaudes larmes.

Il était sur son fumier à Bicêtre, mangé des poux à la lettre, logé sous terre, et souvent hurlant de faim. Il avait encore adressé un Mémoire à je ne sais quel philanthrope, par un porte-clés ivre. Celui-ci heureusement le perd, une femme le ramasse. Elle le lit, elle frémit ; elle ne pleure pas, celle-ci, mais elle agit à l’instant.