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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

passionné, qui la fît sortir d’elle-même, la lançât dans l’action.

Dans les mauvais jours d’affaissement, de fatigue, quand la foi révolutionnaire défaillit en eux, plusieurs des députés et journalistes principaux de l’époque allaient prendre force et courage dans une maison où ces deux choses ne manquaient jamais : maison modeste, le petit hôtel Britannique de la rue Guénégaud, près le Pont-Neuf. Cette rue, assez sombre, qui mène à la rue Mazarine, plus sombre encore, n’a, comme on sait, d’autre vue que les longues murailles de la Monnaie. Ils montaient au troisième étage, et là, invariablement, trouvaient deux personnes travaillant ensemble, M. et Mme Roland, venus récemment de Lyon. Le petit salon n’offrait qu’une table où les deux époux écrivaient ; la chambre à coucher, entr’ouverte, laissait voir deux lits. Roland avait près de soixante ans, elle trente-six, et paraissait beaucoup moins ; il semblait le père de sa femme. C’était un homme assez grand et maigre, l’air austère et passionné. Cet homme, qu’on a trop sacrifié à la gloire de sa femme[1], était un ardent citoyen qui avait la France dans le cœur, un de ces vieux Français de la race des Vauban et des Boisguillebert, qui, sous la royauté, n’en poursuivaient pas moins, dans les seules

  1. Avant son mariage avec Roland, Mlle Phlipon avait été obligée, par l’inconduite de son père, de se réfugier dans un couvent de la rue Neuve-Saint-Étienne, qui mène au Jardin des Plantes, petite rue si illustre par le souvenir de Pascal, de Rollin, de Bernardin de Saint-Pierre. Elle y vivait, non en religieuse, mais dans sa chambre entre Plutarque et Rousseau, gaie et courageuse, comme toujours, mais dans une extrême pauvreté, avec une sobriété plus que spartiate, et semblant déjà s’exercer aux vertus de la République.