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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

son cœur « Oh que je sois né si tard !… Oh combien je l’aurais aimée ! »

Elle a les cheveux cendrés du plus doux reflet : bonnet blanc et robe blanche. Était-ce en signe de son innocence et comme justification visible ? je ne sais. Il y a dans ses yeux du doute et de la tristesse. Triste de son sort, je ne le crois pas ; mais de son acte, peut-être… Le plus ferme qui frappe un tel coup, quelle que soit sa foi, voit souvent, au dernier moment, s’élever d’étranges doutes.

En regardant bien dans ses yeux tristes et doux, on sent encore une chose, qui peut-être explique toute sa destinée : Elle avait toujours été seule.

Oui, c’est là l’unique chose qu’on trouve peu rassurante en elle. Dans cet être charmant et bon, il y eut cette sinistre puissance, le démon de la solitude.

D’abord, elle n’eut pas de mère. La sienne mourut de bonne heure elle ne connut point les caresses maternelles ; elle n’eut point dans ses premières années ce doux lait de femme que rien ne supplée.

Elle n’eut pas de père, à vrai dire. Le sien, pauvre noble de campagne, tête utopique et romanesque, qui écrivait contre les abus dont la noblesse vivait, s’occupait beaucoup de ses livres, peu de ses enfants.

On peut dire même qu’elle n’eut pas de frère. Du moins, les deux qu’elle avait étaient, en 92, si parfaitement éloignes des opinions de leur sœur, qu’ils allèrent rejoindre l’armée de Condé.

Admise à treize ans au couvent de l’Abbaye aux Dames de Caen, où l’on recevait les filles de la pauvre