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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

qui commencèrent tout d’abord par être amoureux d’elle et lui demander sa main. Elle faisait semblant de dormir, souriait, et jouait avec un enfant.

Elle arriva à Paris le jeudi 11, vers midi, et alla descendre dans la rue des Vieux-Augustins, no 17, à l’hôtel de la Providence. Elle se coucha à cinq heures du soir, et, fatiguée, dormit jusqu’au lendemain du sommeil de la jeunesse et d’une conscience paisible. Son sacrifice était fait, son acte accompli en pensée ; elle n’avait ni trouble ni doute.

Elle était si fixe dans son projet, qu’elle ne sentait pas le besoin de précipiter l’exécution. Elle s’occupa tranquillement de remplir préalablement un devoir d’amitié, qui avait été le prétexte de son voyage à Paris. Elle avait obtenu à Caen une lettre de Barbaroux pour son collègue Duperret, voulant, disait-elle, par son entremise, retirer du ministère de l’intérieur des pièces utiles à son amie, Mlle de Forbin, émigrée.

Le matin elle ne trouva pas Duperret, qui était à la Convention. Elle rentra chez elle, et passa le jour à lire tranquillement les Vies de Plutarque, la bible des forts. Le soir, elle retourna chez le député, le trouva à table, avec sa famille, ses filles inquiètes. Il lui promit obligeamment de la conduire le lendemain. Elle s’émut en voyant cette famille qu’elle allait compromettre, et dit à Duperret d’une voix presque suppliante : « Croyez-moi, partez pour Caen ; fuyez avant demain soir. » La nuit même, et peut-être pendant que Charlotte parlait, Duperret était déjà proscrit ou du moins bien près de l’être. Il ne lui tint pas moins parole, la mena le lendemain matin chez le ministre, qui ne recevait point, et lui fit enfin comprendre que,