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Page:Mille - Anthologie des humoristes français contemporains, 1920.djvu/137

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CHARLES MONSELET

À présent que je vais aux recettes nouvelles,
Et que mon appétit vole aux gibiers nouveaux,

Je me souviens. Malgré grives et bartavelles,
Je regrette le temps où, fou de maniveaux,
Je dévorais la croûte où nageaient les cervelles
Et les crêtes de coq, avec les ris de veaux.

Ces godiveaux, orgueil des bourgeoises familles,
Étaient en ce temps-là pareils à des bastilles ;
La salle s’imprégnait de leurs puissants parfums ;

Et, jeune âme déjà conquise à la cuisine,
J’oubliais de presser le pied de ma cousine.
— Et je pleure en songeant aux godiveaux défunts.

(Poésies complètes ; E. Dentu édit.)

LE HOMARD

Le homard, compliqué comme une cathédrale,
Sur un lit de persil, monstre rouge, apparaît.
En le voyant ainsi, Janin triompherait.
Car il a revêtu la pourpre cardinale !

Et c’est le Borgia des mers. Il a l’attrait
Des scélérats déçus dans leur ruse infernale.
Héraut des grands festins, avec pompe il étale
Son cadavre éventré dans l’office en secret.

Jamais plus fier vaincu n’eut plus beau flanc d’albâtre.
Décoratif et noble, il gît sur son théâtre,
Jusques après la mort refusant d’abdiquer,

Il se cramponne aux doigts qui veulent l’attaquer.
Et si quelque imprudent cherche à briser sa pince :
« Prends garde ! lui dit-il, je suis encore un prince ! »

(Poésies complètes ; E. Dentu édit.)