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Page:Mille - Anthologie des humoristes français contemporains, 1920.djvu/143

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CHARLES MONSELET

Tous répètent : « Voici nos notes ! »
Tous demandent : « As-tu le sac ? »
Seul, dans son farouche délire,
Le traiteur étouffant son ire :
« C’est pourtant moi, semble-t-il dire,
Qui l’ai fait gros comme Balzac ! »

Pendant ce chœur, saisissant mes lunettes,
Qui reposaient à côté de mon lit,
Je reconnais leurs atroces binettes.
Un créancier ne fut jamais joli,
Deux créanciers forment un groupe blême,
Trois créanciers sont la laideur extrême,
Mais cinq, mais dix, mais vingt… c’est l’enfer même !
Or, j’écoutais leur langage impoli.

« Oui, c’est un libertin ! — Sa conduite est infâme !
— Il refuse sa porte et se lève à midi !
— Il court les casinos ! — Il a plus d’une femme !
— Monsieur fait pince-nez ! — Monsieur joue au dandy !
— Il se rit de nos mœurs et n’en prend qu’à ses aises !
— Il faut à son dîner de l’aï sur les fraises.
— Au café du Helder je l’ai vu, sur deux chaises,
Écorchant une glace à l’air du soir tiédi. »

Je suis né bon, j’ai la mansuétude.
Et volontiers je me laisse raser.
De ces refrains, d’ailleurs, j’ai l’habitude,
Rien ne saurait plus me mécaniser.
Mais cependant, flairant l’impertinence
De ces butors enivrés de fiance,
Je secouai le joug de ma créance :
Sur mon séant on me vit me poser.

« Qui m’a fait ces polichinelles ?
M’écriai-je en sentant monter
Un litre rouge à mes prunelles